Staline
trente ans plus tôt. Les pays baltes tombent en quinze jours, le 28 juin
les Allemands sont déjà à Minsk, le 8 juillet ils occupent Berditchev, le
11 Vitebsk, le 16 ils entrent dans les faubourgs de Smolensk et à Kichinev. En
six semaines, la Wehrmacht a fait plus de 700 000 prisonniers.
La même tragédie se répète sur le front Sud-Ouest (Ukraine
et Moldavie), bien que l’Armée rouge dispose là de 200 000 soldats de
plus que la Wehrmacht (9 570 000 contre 730 000), de six fois
plus de tanks (4 783 contre 799 !), de deux fois plus d’avions (1 759
contre 772), et même de 3 000 mortiers et canons de plus ! Le
GQG, c’est-à-dire Staline, donne l’ordre au commandant du front, Kirponos, de
passer à l’offensive pour s’emparer de la ville de Lublin, à 120 kilomètres
de la frontière, d’ici au 24 juin, ce qui demanderait une avancée de l’Armée
rouge de 60 kilomètres par jour… Le chef d’état-major du front juge cette
directive irréaliste et propose de se replier légèrement sur l’ancienne ligne
fortifiée de défense. Kirponos, effrayé à l’idée de transmettre cette
proposition à Staline, lui répond : « Un ordre est un ordre [1103] . » Et l’Armée
rouge prend l’offensive, mais à reculons, balayée par les divisions de von
Kleist. À la vue des chars allemands fonçant en rangs serrés, la panique s’empare
des troupes soviétiques, qui détalent, abandonnant sur le terrain canons et
automitrailleuses. Les fuyards contournent par les champs les détachements
spéciaux de barrage mis en place pour les arrêter.
Khrouchtchev, alors à Kiev, a donné une version accablante
du comportement de Staline au lendemain des premiers désastres. « Il pensa
que c’était la fin […]. Après cela, il ne dirigea pas effectivement – et
pendant longtemps – les opérations militaires et cessa de faire quoi que
ce soit. Il ne reprit la direction active qu’après avoir reçu la visite de
certains membres du Bureau politique [1104] . »
Si son récit est exagéré, il renvoie tout de même à une réalité : la chute
de Minsk, la capitale de la Biélorussie, tombée sans combat le 28, donne à la
débandade de l’Armée rouge l’allure d’une déroute complète et cristallise
toutes ses craintes. Le soir même du 29, Staline signe une directive à toutes
les organisations du Parti et des soviets des provinces frontalières sur la
base d’un projet rédigé par Molotov, Chtcherbakov et Mikoian, et qu’il a
largement corrigé. Dans cette lettre furieuse, il dresse la liste
(impressionnante) des territoires déjà occupés par les Allemands, dénonce la
menace mortelle qu’ils font peser sur l’URSS, son système et ses richesses,
puis fustige la mollesse de « certaines organisations […] et de leurs
dirigeants qui n’ont toujours pas saisi la signification de cette menace,
vivent dans une atmosphère paisible et débonnaire et ne comprennent pas […] que
notre Patrie est en grand danger [1105] ».
Il faut tout réorganiser rapidement sur le mode guerrier. Les responsables sont
toujours les autres, les cadres et les militants qu’il faut fouetter, menacer,
punir…
Ce 29 au soir, Staline, Molotov, Malenkov, Beria et Mikoian
attendent en vain au Kremlin des nouvelles des armées du front Ouest, avec qui
les liaisons sont rompues. Staline téléphone à Timochenko, incapable de lui
donner le moindre renseignement précis. Furieux, il emmène ses quatre
collaborateurs au commissariat à la Défense, y insulte Timochenko, Joukov et
leurs adjoints, puis craque et murmure : « Lénine nous avait laissé
un grand héritage, et nous, ses héritiers, nous avons bousillé tout ça »,
et part, seul, se terrer dans sa villa de Kountsevo. « Tout lien avec lui
était rompu [1106] »,
écrit Mikoian. Ses lieutenants téléphonent à la datcha ; les domestiques
font savoir qu’il n’est pas malade, mais refuse de répondre au téléphone.
Or, en son absence, rien ne peut se décider. Le lendemain,
Beria propose de constituer un Comité d’État à la défense concentrant tous les
pouvoirs pour régler tous les problèmes. Molotov propose d’aller voir Staline
en précisant : « Il est dans un tel état de prostration qu’il ne s’intéresse
à rien, qu’il a perdu l’initiative, se trouve dans un triste état, ne répond
pas au téléphone [1107] . »
Les six membres du Bureau politique (Molotov, Mikoian, Malenkov, Vorochilov,
Beria et
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