Staline
forcée de l’Armée
rouge : il faut tout emporter et détruire ce qui ne peut être évacué, et,
en premier lieu, le blé et le carburant. Dans les régions occupées, il faut
former des détachements de partisans et de saboteurs, organiser la guérilla,
faire sauter les ponts et les routes, saboter les liaisons téléphoniques et
télégraphiques, incendier les forêts, les dépôts, les convois. Ignorant sa
nature véritable, il accuse le nazisme de seulement vouloir « restaurer le
tsarisme [1110] »
en Russie. Il le répétera, le 6 novembre, après quatre mois et demi de
massacres des populations civiles, de chasse aux communistes et aux
juifs : « Fondamentalement, le régime hitlérien est une copie du
régime réactionnaire de la Russie des tsars [1111] . »
Une pieuse tradition veut que ce discours ait remué les
foules. Constantin Simonov, dans Les Vivants et les Morts, insiste sur
la densité dramatique de sa voix assourdie, au rythme régulier, qui bouleverse
les blessés d’un hôpital. Le fils de Lominadzé, Sergo, en a gardé un tout autre
souvenir : « Il n’y avait aucune vibration métallique dans sa voix et
son discours commença par des sanglots étouffés (ou des "spasmes"),
et je me rappelle encore un incompréhensible martèlement des pieds et le
glouglou de l’eau qu’il buvait [1112] . »
La cousine de Pasternak, à Leningrad, a conservé une impression plus négative
encore : « Le discours de Staline à la radio suscita une nouvelle
vague de haine. Tout le monde disait qu’il avait semé la panique, tous avaient
entendu ses dents s’entrechoquer lorsqu’il buvait de l’eau et reprenait son
souffle […]. Staline était si impopulaire que son nom disparut alors de l’usage [1113] . » Son
discours ne put guère être entendu que sur les places publiques ou dans les
cours d’usines équipées de haut-parleurs. Le 1 er juillet, par
peur de la propagande ennemie, le NKVD avait, en effet, exigé que tous les
citoyens lui remettent leurs postes de radio, dont la détention était devenue
passible de trahison, et avait commencé à les rafler. L’espionnite de Staline
se retournait ainsi contre lui-même…
Le 6 juillet, Mekhlis, dans un message à Staline adopté
par le Conseil militaire, affirme : l’enquête a « établi l’activité
de trahison » du chef d’état-major du front, Klimovskikh, du commandant
des forces aériennes du front, Taiurski, du chef de l’artillerie du front,
Klitch, du commandant des liaisons du front, Grigoriev, du commandant de la IV e armée,
en pleine débandade, Korobkov, du commandant de la 9 e division
aérienne, Tchernykh, du commandant de la 42 e division d’infanterie
Lazarenko, du commandant du 14 e corps de blindés, Obotine, tous
responsables de la déroute. Par retour, Staline félicite le Conseil
militaire : « Le GQG approuve votre décision d’arrêter Klimovskikh,
Obotine, Taiourski et les autres, et salue ces mesures comme l’un des moyens
sûrs d’assainissement du front [1114] . »
Il fait passer ces hommes en jugement avec Pavlov, Grigoriev et Korobkov.
Les enquêteurs accusent Pavlov d’avoir appartenu, avec
Meretzkov et Stern (qu’il a rencontrés en Espagne en 1937), au prétendu complot
monté par Toukhatchevski et Ouborevitch depuis 1934. Pavlov craque, avoue, puis
revient sur ses aveux. Le complot ne figure pas dans le jugement. Mais le NKVD
charge Pavlov de toutes les erreurs de Staline et de l’état-major. Pavlov s’accuse :
« Au lieu de disposer toutes mes troupes en position de départ dès la fin
mai, […], j’ai attendu les directives de l’état-major, perdu du temps, puis j’ai
fait traîner la concentration des troupes, si bien que la guerre a surpris une
bonne moitié des troupes en plein déploiement vers leurs positions de départ [1115] . » Pavlov
est donc coupable de ne pas avoir désobéi aux instructions formelles de l’état-major
dictées par Staline.
Au moment d’entendre le verdict, le 22 juillet, il
revient à moitié sur cet aveu. Il affirme, certes : « Je me reconnais
coupable d’avoir interprété à ma manière la directive de l’état-major et de ne
pas avoir mobilisé l’armée plus tôt, c’est-à-dire avant l’attaque ennemie. »
Mais dans ses affirmations, il introduit une accusation à peine voilée : « Je
savais que l’ennemi allait attaquer, mais, de Moscou, on m’a assuré que tout
était en ordre et on m’a ordonné de
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