Staline
allemande arrive sur Sébastopol : « Si un seul de nos
avions prend l’air, vous serez fusillé demain matin [1100] . » Dans la
matinée du 22, Timochenko téléphone au général Boldine sur le front : « Staline
a interdit de faire donner l’artillerie contre les Allemands [1101] . » Ce 2 à
midi quinze, Molotov, renonçant à user du mot « camarades », harangue
à la radio les « citoyens et citoyennes » soviétiques.
Staline se reprend un moment. Le premier abattement passé,
il travaille avec énergie, mais en manifestant une extrême nervosité. Le
journal de ses secrétaires témoigne d’une activité fébrile dans les heures qui
suivent l’attaque allemande : le 22 juin, il a 29 entretiens
avec ses collaborateurs ; jusqu’à la fin du mois, il rencontrera ainsi une
trentaine de collaborateurs, presque tous les jours. Ce rythme reprend à dater
du 1 er juillet. Mais il s’agit d’une activité fébrile et peu
constructive. Tchadaev, qui lui fait signer les documents du gouvernement,
remarque ses traits tirés, ses joues creusées, son visage blême, et sa diction
trébuchante, parfois entrecoupée de spasmes.
Fidèle à sa politique du temps de paix, sa direction des
opérations, fondée sur des effets de propagande fallacieux, est, jusqu’à
Stalingrad, marquée par un irréalisme qui va coûter à l’Armée rouge des
millions de morts et des millions de prisonniers. Le 23 juin, il fait
signer par le chef de l’état-major la directive n o 3, modèle de
bluff suicidaire, qui prévoit une contre-attaque soviétique généralisée pour
anéantir l’ennemi et pénétrer sur son territoire ! Une telle directive ne
pouvait qu’aggraver le désarroi de commandants d’unité livrés à eux-mêmes. Le
Grand Quartier général, présidé par Timochenko, est constitué ce même jour.
Staline, prudent, forme dès le 24 juin un comité d’évacuation chargé de
transférer vers l’est les entreprises de la région frontalière et de Leningrad.
Le même jour, Roosevelt fait débloquer les avoirs russes gelés dans les banques
américaines depuis 1917.
Pendant ce temps, la Wehrmacht s’enfonce au pas de charge
sur les trois fronts. Sur l’axe central vers Moscou, c’est la débandade.
Pourtant, l’Armée rouge, dont les effectifs sont légèrement supérieurs à ceux
de la Wehrmacht (678 000 hommes contre 635 000), si elle est handicapée
par une certaine infériorité en mortiers, canons et avions, dispose, au début,
de deux fois et demie plus de chars que la Wehrmacht (2 189… contre 810),
mais les divisions blindées allemandes, plus mobiles, manœuvrent comme à la
parade.
L’été 1941 est torride. Au milieu des marais asséchés,
les forêts de Biélorussie et les villages bombardés s’enflamment, les troupes
soviétiques, privées de couverture aérienne, pilonnées par l’artillerie et l’aviation
allemandes, mitraillées par ses détachements motorisés, pourchassées par ses
chars, sans nourriture, sans eau, sans liaison avec leur état-major, reculent,
éperdues, dans des nuages de fumée, de poussière et de feu, sous un soleil de
plomb. Des dizaines de milliers de prisonniers sont entassés à ciel ouvert ou
dans des baraquements où ils meurent chaque jour, par centaines, d’épuisement,
de faim, de soif, d’épidémies.
Sur le front Nord-Ouest, la Wehrmacht aligne des forces deux
fois supérieures à celles de l’Armée rouge (655 000 hommes contre 380 000) ;
elle dispose à peu près du même nombre de tanks et d’avions, mais possède une
nette supériorité en armement lourd (7 673 mortiers et canons contre 4 938).
Elle bouscule l’Armée rouge, progresse de 60 kilomètres dans la seule
journée du 22 juin. Au premier choc, les divisions lituaniennes abattent
leurs officiers soviétiques et tournent les talons ou se rallient à la
Wehrmacht. Les troupes soviétiques errent bientôt à l’aveuglette, sans
liaisons, puis bientôt privées de munitions, au point qu’une instruction
spéciale du 5 juillet, signée par le général Vatoutine, recommande aux
soldats antichars, « une fois épuisées les grenades et les bouteilles
emplies de mélange inflammable, de préparer des pains d’argile boueuse qu’ils
jetteront dans les ouvertures des blindés [1102] ».
Mais les pains d’argile boueuse ne freinent guère l’avancée des panzers. La
Wehrmacht occupe Vilnius et Kaunas le 24 juin, à la même date que Napoléon
cent
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