Staline
me tenir tranquille et de ne pas paniquer.
Je ne peux donner le nom de celui qui m’a dit cela [1116] . » En
désignant ainsi les vrais coupables, Pavlov donne aux juges une seconde raison
de le condamner à mort : il en sait trop sur les vrais fauteurs de
défaite.
Staline abandonne l’accusation de complot et de trahison,
trop inquiétante en pleine guerre ; il préfère terroriser les généraux en
poste en les accusant de lâcheté et d’incompétence. Mais tout au long de la
guerre il continuera à envoyer Mekhlis aux basques des généraux. Ce dernier
arpentera ainsi quatorze fronts, semant partout la crainte, la suspicion, le
désordre, car il est l’envoyé personnel de Staline, ses yeux et ses oreilles,
et, même quand il ne la cautionne pas, son hystérie délatrice plaît au Guide.
Avec Mekhlis, nul n’est à l’abri, alors qu’un Malenkov, bon et fidèle
exécutant, ne prend jamais l’initiative de harceler les généraux ; pour qu’il
sévisse, il faut lui-même le harceler !
La condamnation à mort des quatre généraux du front Ouest,
non révélée au public, est connue de tous les gradés. Staline ne vise pas
lui-même les documents du tribunal, qui portent les seules signatures de
Molotov et de Malenkov. Lesdits généraux, accusés de « lâcheté, inaction
et esprit de panique [1117] »,
sont fusillés le 22 juillet. Après les saboteurs mythiques qui expiaient
les bégaiements de l’industrialisation stalinienne accélérée, des lâches aussi
mythiques expliquent et expient les faux pas de Staline. Pavlov n’est que le
plus connu d’une longue liste de généraux exécutés sur son ordre. En juillet,
Staline fait fusiller le major général Galaktionov, commandant la 30 e division
d’infanterie de la IX e armée du front Sud et le lieutenant
général Klitch, chef de l’artillerie du front Ouest. Aucun plan de transport
des troupes de réserve n’a été établi avant le 22 juin, et le chaos règne
sur les lignes de chemin de fer surchargées ; des régiments entiers
traînent des jours durant sur les voies encombrées ou sur des voies de garage
dans la canicule. Staline et Kaganovitch, le commissaire aux Transports
ferroviaires, accusent de trahison le chef de la Direction des communications
militaires de l’armée, le lieutenant général Troubetskoï, qui est condamné à
mort sur-le-champ et fusillé. Fin octobre, treize autres officiers supérieurs
subissent le même sort, dont le major général Volodine, chef de l’état-major
des forces aériennes, et, on l’a vu, son adjoint, Smouchkevitch, le lieutenant
général Rytchagov, chef de la Direction principale des forces aériennes.
Furieux de l’avance allemande fulgurante vers Leningrad, Staline destitue
Vorochilov et fait fusiller, en septembre, le major général Gontcharov,
commandant l’artillerie de la XXXIV e armée du front Nord-Ouest,
puis, en octobre, deux autres gradés de ce front.
Sur ce point aussi, son comportement et celui d’Hitler, qui
prendra le 19 décembre le commandement effectif de l’armée allemande, sont
très proches. L’ancien caporal n’a pas plus de formation militaire que l’ancien
réformé. Les deux autodidactes éprouvent la même hostilité à l’égard des « spécialistes »,
et l’aversion nazie pour la « prétendue intelligentsia » rejoint le
rejet stalinien des « spécialistes bourgeois ». Ils aspirent tous
deux à s’entourer de généraux qui reconnaîtront en eux le plus grand capitaine
de tous les temps. Gert Buchheit note : « Hitler changeait ses
commandants de groupes d’armées ou d’armée comme on change de domestique, sans
aucun égard pour le trouble que cela apportait à la conduite des opérations [1118] . » Mais il
ne fusille pas les généraux qu’il limoge à tour de bras : Rundstedt,
Guderian, Geyer, Förster, Hoepner, Harpe, Halder, Reinhardt, Liste, et bien d’autres
encore. Au pire, il fera condamner le général Heim à cinq mois en forteresse.
Hitler et Staline refusent d’admettre tout recul, même tactique : ils
exigent, l’un et l’autre, que leurs troupes s’accrochent coûte que coûte au
terrain qu’elles occupent ; ils s’ingèrent dans la conduite des opérations
et en modifient souvent le cours par des décisions brutales qu’ils ne
justifient pas aux exécutants. Face à l’avance de l’Armée rouge en 1944, Hitler
réagira comme Staline l’a fait lors de l’entrée de la Wehrmacht en
Weitere Kostenlose Bücher