Staline
URSS :
par l’interdiction à ses troupes de reculer et par la tactique de la terre
brûlée. Ils jugent tous deux superflu d’informer les chefs militaires de leurs
objectifs politiques et compensent leur incompétence par une fièvre qui les
pousse à engager sans délai les opérations décidées.
Aucun des deux hommes n’ira, pendant la guerre, passer en
revue ses troupes au front, visiter un hôpital militaire ou une ville
bombardée. Ils élaborent leur stratégie dans des bureaux, refusent d’admettre
que l’échec ou la perte d’une bataille peuvent découler d’une erreur tactique
ou stratégique dont ils porteraient la responsabilité, et chacun est à la
recherche de boucs émissaires. Le peuple – vivant, blessé ou combattant –
ne les intéresse pas. Une différence pourtant entre eux : ces traits
tendent à s’atténuer chez Staline au fil des mois, surtout après Stalingrad,
alors qu’ils s’accentuent chez Hitler au fil des déconvenues, puis des
défaites.
Ces ressemblances ne sont pas le fruit du hasard. Elles
expriment une similitude de situation : les deux hommes se trouvent, sous
le masque d’un socialisme national, au sommet d’un appareil parasitaire,
vorace, autoritaire, arrogant, de type mafieux, dont tous les traits s’incarnent
dans leur maître suprême. Hitler et l’appareil nazi sont certes plus tapageurs
et braillards, Staline et son propre appareil, plus hypocrites et masqués. Mais
l’un et l’autre, l’hitlérien et le stalinien, se ressemblant comme des frères,
leurs chefs, malgré leurs différences individuelles, ont un comportement voisin
face à l’épreuve décisive de la guerre.
Un rapport à Staline du premier secrétaire du PC de
Biélorussie, Ponomarenko, souligne l’ampleur de la démoralisation. Aux premiers
bombardements, les colonnes de soldats se dispersent, abandonnent leurs armes,
se réfugient dans les forêts ou rentrent chez eux : « Toutes les
forêts des régions voisines du front sont pleines de ces fuyards. » Il
souligne l’absurdité des mesures prises : on a mobilisé en Biélorussie
deux millions d’hommes et de femmes pour creuser d’énormes fossés antichars à
travers toute la République pour rien : les chars allemands se sont
engouffrés par les routes qui n’avaient pas été minées. Les unités de l’Armée
rouge n’utilisent quasiment pas les liaisons radio, leurs transferts s’effectuent
à pied et la lenteur de mouvement des soldats soviétiques, épuisés par de
longues marches, contraste avec la rapidité, la mobilité et la fraîcheur des
unités de la Werhmacht qui se déplacent en camion. Par prudence politique,
Ponomarenko conclut en insistant sur la démoralisation qui gagne… l’armée
allemande [1119] .
Au sud-ouest, les 9 et 10 juillet, les tanks de von
Kleist font une percée de 110 kilomètres en deux jours ! À Kiev,
Khrouchtchev, affolé, propose à Staline de mettre en œuvre ses directives du 3 juillet,
et de tout détruire sur une profondeur de 100 à 150 kilomètres en arrière
de l’ennemi. Un rappel à l’ordre immédiat de Staline montre que ce dernier
sous-estime l’ampleur de la catastrophe qui se prépare, mais veut éviter de
jeter dans les bras de la Wehrmacht des populations affamées par la destruction
systématique des récoltes et du bétail. Aussi explique-t-il à
Khrouchtchev : vos propositions contredisent mon discours et pourraient « démoraliser
la population, susciter son mécontentement à l’égard du pouvoir soviétique,
désorganiser les arrières de l’Armée rouge et susciter dans l’armée comme dans
la population la croyance en un recul obligatoire quand nous avons décidé de
résister à l’ennemi ». Il ordonne, en cas de recul, de transférer toute la
population, avec son bétail, son blé, ses tracteurs, ses machines, dans un
rayon de 70 kilomètres en retrait du front, de détruire ce qui n’est pas
transportable, « sauf la volaille, le petit bétail et autre ravitaillement
nécessaire à la population qui restera sur place ». Il interdit de faire
sauter les stations électriques, les usines et les conduites d’eau, mais de
rendre les premières et les secondes inutilisables et de faire sauter tous les
ponts, une fois les armées regroupées sur la rive gauche du Dniepr, action qu’il
semble alors considérer comme inéluctable [1120] .
Il reprendra pourtant à son compte les propositions de Khrouchtchev quelques
semaines plus
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