Staline
les
maisons de bois, éventrent les immeubles de béton. L’incendie ravage la cité
noyée dans des nuages de poussière et de cendres. Staline refuse un moment d’autoriser
l’évacuation des milliers de civils, femmes et enfants terrés dans les caves et
les trous de bombes, ou encore entassés, implorants, sur la rive droite du
fleuve. Ce serait pour lui le premier acte d’une inacceptable capitulation. Le 3 septembre,
les IV e et VI e armées blindées de la Wehrmacht font
leur jonction autour de Stalingrad, ainsi encerclée au nord, à l’ouest et au
sud, tenue par 40 000 soldats exténués. Si Stalingrad tombe, la route
de Moscou vers le nord est ouverte. C’est le début d’un enfer de cinq mois, le
premier acte d’une mêlée sauvage que les Allemands ont appelée « le combat
des rats ». Staline, menaçant, interpelle au téléphone Khrouchtchev,
commissaire politique du front : « Que signifie le début d’évacuation
de la ville ? » Khrouchtchev bredouille que l’information est fausse.
Il doit s’accrocher à tout prix.
La Volga est sous le feu de l’artillerie allemande. Entre
deux salves d’obus, la Luftwaffe mitraille les transports de troupes et de
vivres et coule une bonne moitié des radeaux et des barges qui tentent de
traverser le fleuve. Les officiers du NKVD et les commissaires politiques
lancent les soldats à l’assaut en hurlant : « Pour la Patrie !
Pour Staline ». Un poète soldat résume assez bien leur sentiment dans un
bref tercet :
Dans les tranchées, pour être honnête,
La dernière chose que nous avions en tête
C’était Staline [1182] .
Les troupes spéciales du NKVD, postées derrière les
combattants, abattent à la mitrailleuse ou au revolver les soldats qui reculent
ou esquivent le combat, tout comme les déserteurs, les civils qui tentent de
fuir vers les lignes allemandes, voire les enfants suspects de servir de
porteurs d’eau aux Allemands. L’historien anglais Antony Beevor a recensé 13 500 soldats
soviétiques fusillés par ces troupes spéciales. Mais la terreur ne suffit pas,
loin de là, à expliquer l’acharnement des milliers de soldats et d’officiers
pour qui Stalingrad est le combat de la dernière chance et qui veulent à tout
prix arrêter la Wehrmacht dans ce champ de ruines. Elle avance pourtant presque
chaque jour, inexorablement, de quelques mètres vers les objectifs vitaux que
sont l’usine de tracteurs, l’usine Barricades, l’usine Octobre rouge, la gare
centrale, le silo à grain, en ruine, et la colline dite Kourgane de Mamai,
adossés à la Volga. Staline et Joukov exigent du général leremenko, commandant
du front, qu’il déclenche une impossible contre-attaque. Ieremenko lance à l’assaut
des positions allemandes retranchées des troupes, chaque jour renouvelées par
les renforts qui ont échappé aux obus allemands et aux mitrailleuses des
Messerschmitt.
Dès octobre, la Wehrmacht n’est plus qu’à 150 mètres de
la Volga, face à ces usines réduites à un entrelacs de carcasses trouées.
Staline autorise Ieremenko et Khrouchtchev à installer le QG du front sur la
rive gauche de la Volga tandis que le général Tchouïkov, commandant la LXII e armée
soviétique, reste sur la rive droite, face aux lignes allemandes. Le 2 octobre,
la Lufwaffe bombarde les réservoirs de carburant de l’Armée rouge ; leur
explosion allume un gigantesque incendie. Dans un tourbillon de fumée, de
cendres et de poussière, les combattants, retranchés dans les ruines, se
battent à la grenade, à la baïonnette, au poignard pour chaque fosse, chaque
pan de ruines, chaque débris, où les panzers s’empêtrent. Dans ce corps à corps
furieux, les fantassins soviétiques abattent un jour à la mitrailleuse leurs
propres pilotes, sautés en parachute de leurs bombardiers abattus comme à la
parade par la chasse germanique. Les blessés entassés en hâte sur les rives y
agonisent en râlant, sans eau, sans médicaments, sans soins. La nuit, les rats
rongent les cadavres entre les lignes, pendant que les civils terrés leur
disputent les débris d’aliments ou cherchent désespérément une eau polluée. L’ordre,
donné par Staline le 5 octobre, de reprendre les positions conquises par
les Allemands, à portée de main de la Volga, est irréalisable, mais les soldats
soviétiques s’accrochent désespérément à chaque trou et à chaque tas de gravats
pour interdire à la Wehrmacht d’atteindre le
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