Staline
modèles, puis
se prononce pour leur adoption si cet uniforme plaît aux jeunes. Si, dit-il,
les hommes de leur génération se souviennent de l’Ancien Régime, que cet
uniforme rappelle, « il ne représente rien pour beaucoup de gens ».
Staline feint l’étonnement : « Comment, même vous, camarade Kalinine,
vous êtes pour l’Ancien Régime [1186] ! »
Kalinine maintient sa position. Le 6 janvier, un décret rétablit les
épaulettes. Quelques jours plus tard, Staline invite les deux hommes à dîner
dans son appartement du Kremlin. Au cours du repas, Kalinine raconte qu’au
cours de la guerre civile Lénine l’avait envoyé dans une région où les paysans
refusaient de livrer leur blé ; les paysans lui dirent qu’ils voulaient
bien le livrer, à condition que l’on ne touche pas à leurs popes et à leurs
églises. De retour à Moscou, Kalinine raconta la conversation à Lénine qui lui
promit d’« interdire de fermer les églises et de pourchasser les popes ».
L’anecdote est douteuse, mais Staline, qui a écouté attentivement, la
commente : « Cette question n’a pas perdu de son acuité. Les
gauchistes nous ont fait beaucoup de tort dans les questions de religion. On ne
peut vaincre la religion que par l’éducation des gens et non par des mesures
administratives ; c’est pourquoi la question des églises n’a toujours pas
perdu sa signification [1187] . »
Il va le montrer sous peu. Dès le 31 juillet, d’ailleurs, le Secrétariat
au Comité central avait « provisoirement » (en réalité,
définitivement) arrêté l’édition du Journal Le Sans-dieu, dont le
rédacteur en chef, Ioroslavski, meurt au début de 1943 [1188] .
À Berlin, un officier russe de l’armée Vlassov, le colonel
Igor Sakharov, perçoit l’importance de ce changement nationaliste. En février 1943,
il adresse à l’état-major de la Wehrmacht un mémorandum dans lequel il
affirme : Staline, comprenant le désintérêt des Russes pour la révolution
mondiale, a remplacé la propagande révolutionnaire par l’idée nationale russe, « repoussé
les juifs à l’arrière-plan », supprimé les commissaires politiques,
restauré les uniformes, les grades et les vieux ordres historiques. Ce
nationalisme affiché, écrit-il, pousse le soldat soviétique à lutter maintenant
« pour sa patrie, contre l’occupation étrangère [1189] ».
Sakharov oublie que la « propagande révolutionnaire » a disparu dès
la signature du pacte germano-soviétique. Ses observations soulignent néanmoins
l’ampleur du tournant nationaliste [1190] .
CHAPITRE XXVIII
La vague rouge
Le 9 janvier 1943, Mekhlis résume lors d’une
conférence d’instructeurs politiques le contenu de la directive du GQG pour l’année
qui commence : « Sur les indications du camarade Staline, l’année 1943
doit être l’année de l’écrasement total des envahisseurs allemands [1191] . » Cet
optimisme est encore prématuré.
À la mi-janvier 1943, Roosevelt et Churchill se
rencontrent à Casablanca. Staline, invité, a refusé de s’y rendre, en arguant
de la bataille en cours à Stalingrad. Il a surtout peur de partir aussi loin à
l’étranger, et, plus encore, de prendre l’avion. Le 27 janvier, les deux
hommes l’informent des résultats de leur conférence où ils ont exigé une
reddition sans condition de l’Allemagne, fermant ainsi la porte à une
éventuelle négociation qu’ils craignent de voir Staline engager. En même temps,
ils affirment à ce dernier l’impossibilité d’ouvrir un second front en France.
Ils l’assurent en revanche de leur détermination à « n’épargner aucun
effort pour lui envoyer une aide matérielle [1192] »,
poussant jusqu’au bout la division du travail entre les fournisseurs de canons
et les fournisseurs de chair à canon. Les deux hommes retournent à Staline sa
tactique de 1939, lorsqu’il attendait que l’Allemagne, l’Angleterre et la
France s’usent mutuellement dans une guerre de longue durée. Les Alliés veulent
aider l’URSS à vaincre l’Allemagne hitlérienne tout en permettant à cette
dernière de saigner à blanc son vainqueur.
Le 31 janvier 1943 marque un tournant décisif de
la guerre : à Stalingrad, von Paulus se rend avec ses 91 000 Allemands
survivants squelettiques aux pieds, aux mains ou au nez gelés. La bataille de
Moscou, en novembre 1941, avait marqué l’échec de la Blitzkrieg, la
bataille de Koursk en
Weitere Kostenlose Bücher