Staline
juillet 1943 marquera la fin du règne des blindés
allemands. Mais, dans la conscience de millions d’hommes, c’est bien dans cette
ville en ruine de la Volga que s’amorce la déroute finale des armées nazies.
Stalingrad servira à fonder l’image d’un Staline puissant
stratège. Cette ville, où il ne s’est jamais rendu au cours de la guerre, jouera
un rôle aussi décisif dans sa carrière que vingt-cinq ans plus tôt lorsqu’elle
s’appelait encore Tsaritsyne. Staline y avait alors appris à commander, à
exiger, à faire pression, à menacer, punir, à agir comme un chef, malgré ses
insuccès. En 1943, Stalingrad l’établit dans le rôle de chef de guerre et la
victoire lui donne une assurance nouvelle vis-à-vis de ses propres généraux et
des Alliés. Il est vraiment, désormais, le Commandant suprême. Il le signifie
publiquement : au lendemain de la reddition de von Paulus, il rend public
ce titre, resté jusqu’alors secret, et cinq semaines après, le 6 mars 1943,
se nomme maréchal. Dès lors, il porte systématiquement la tenue de maréchal qu’il
s’est fait couper sur mesure.
Sa biographie officielle donne de ses qualités de stratège
une description lyrique dont l’essentiel (en italique ci-dessous) a été ajouté
de sa propre main : « Le camarade Staline a magistralement élaboré et
mis en œuvre une nouvelle tactique de manœuvre, une tactique de percée
concomitante du front de l’adversaire sur plusieurs secteurs, visant à
interdire à l’adversaire de rassembler ses réserves en un point, la tactique de
la percée différenciée du front de l’adversaire sur plusieurs secteurs, lorsque
les percées se suivent l’une après l’autre, visant à contraindre l’adversaire à
perdre du temps et des forces dans le regroupement de ses troupes […]. Le
camarade Staline devinait et exprimait avec une perspicacité géniale les plans
de l’ennemi [1193] . »
Dans un passage entièrement censuré sous Brejnev, Joukov
porte un jugement d’ensemble beaucoup plus sévère, quoique mesuré, sur le
commandement assuré par Staline. Il souligne que, jusqu’à Stalingrad, Staline s’orientait
avec difficulté dans les domaines de la stratégie militaire, de l’organisation
des armées et des opérations sur le front ! Bref, le champ de ses
compétences était plus que limité. Son ignorance eut des conséquences d’autant
plus dramatiques qu’au début de la guerre il s’appuya, pour prendre ses
décisions, sur son expérience, d’ailleurs restreinte, de la guerre civile. Il s’intéressait
peu, par exemple, aux reconnaissances aériennes. De toute la guerre, l’Union
soviétique ne disposa jamais de bonne aviation de reconnaissance.
Ainsi, au cours des dix-huit premiers mois, son
incompétence, doublée par une assurance à toute épreuve, coûta cher à l’Union
soviétique et à son armée. Jusqu’à Stalingrad, poursuit Joukov, il ne montra qu’une
compréhension superficielle de l’interaction des diverses forces armées dans la
conduite des opérations, et fut donc incapable de coordonner l’action de l’infanterie,
de la cavalerie, des blindés et de l’aviation, sans parler de la marine. Pis
encore, au début, ignorant tout des modalités complexes de préparation des
opérations sur le front, il exigeait souvent « des délais de préparation
et d’exécution des opérations manifestement irréalisables. Suite à ses
exigences catégoriques, ces opérations étaient assez souvent engagées alors qu’elles
avaient été faiblement préparées et insuffisamment assurées ; non seulement
elles n’atteignaient pas leur but, mais elles entraînaient de grandes pertes en
hommes et en moyens matériels [1194] ».
Sa hâte, son impatience, son mépris de la vie humaine l’amènent à sacrifier
pour rien des divisions entières. Il envoie sans cesse au feu de nouvelles
unités tout juste mobilisées, sans préparation militaire, et s’emporte contre
les généraux qui tentent de le convaincre que cet envoi prématuré au combat de
soldats sans formation amènera des pertes superflues ; il les rabroue
sèchement : « Inutile de pleurnicher, après tout c’est la guerre. »
Sa direction catastrophique des opérations pendant un an et
demi a conduit à l’échec des contre-offensives et provoqué un gâchis énorme en
êtres humains et en matériels précieux, ce qui, dans la première année de la
guerre, a placé l’URSS en situation
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