Staline
discussions est de « hâter la
capitulation des forces ennemies qui font face aux troupes américaines [1274] ». La
formule peut laisser présager une paix séparée et l’envoi des divisions
allemandes opérant en Italie sur le front Est. Le 29 mars, Staline insiste
sur ce point devant Roosevelt : il est certes partisan de négociations
avec l’ennemi aboutissant à la capitulation des forces adverses sur une partie
du front, mais « uniquement si elles ne donnent pas la possibilité aux
Allemands de manœuvrer et d’utiliser ces négociations pour transférer leurs
troupes sur d’autres parties du front, et en particulier sur le front
soviétique [1275] ».
Roosevelt l’apaise dans un message du 1 er avril, regrettant l’atmosphère
de méfiance qui entoure ces discussions… Douze jours plus tard, il meurt.
Staline consacre la veille de la victoire à de premières
opérations de remise en ordre interne et idéologique En avril, il fait exclure
Koulik du Parti. Avant même que la guerre soit terminée, c’est un premier
avertissement à la haute hiérarchie militaire. Il le fera arrêter en 1947, et
une fois rétablie, en janvier 1950, la peine de mort, abrogée en 1947, il
le fera condamner à mort et fusiller le 24 août 1950. Mais, surtout,
il met brutalement sur la touche le grand spécialiste de la propagande
antiallemande au cours de la guerre, premier romancier et publiciste, Ilya
Ehrenbourg. Le 14 avril 1945, la Pravda publie un article d’Alexandrov,
responsable de la section d’agit-prop du Comité central, inspiré ou dicté par
Staline, et intitulé : « Le camarade Ehrenbourg schématise ». Il
dénonce un article de ce dernier publié dans la Pravda du 9 avril,
sous le titre « Ça suffit », reproduit dans L’Étoile rouge (l’organe
de l’armée) et Moscou Soir du 11 avril. Il accuse l’écrivain d’appeler
à l’extermination du peuple allemand et affirme : « Ehrenbourg ne
reflète pas l’esprit de l’opinion publique soviétique. Le peuple soviétique n’a
jamais identifié le peuple allemand avec les dirigeants d’une clique criminelle. »
L’article vise à déconsidérer l’écrivain juif en tant que porte-parole du
patriotisme soviétique. Ce rôle ne peut plus en effet convenir à un juif.
Ehrenbourg, le lendemain, proteste contre cet article dans une lettre à
Staline. Il nie avoir appelé à l’extermination du peuple allemand et se plaint
de « l’atmosphère de condamnation et d’isolement » que l’article va
créer autour de lui [1276] .
Le secrétariat de Staline enregistre sa lettre, mais ce dernier n’y répond pas.
N’ayant toujours pas deviné l’identité du commanditaire, Ehrenbourg proteste
auprès d’Alexandrov : c’est la propagande de Goebbels qui l’accuse de
vouloir l’extermination du peuple allemand. Assimiler des propos dictés par
Staline aux éructations de Goebbels est bien téméraire. Staline ne réagit pas,
mais fait interdire à Ehrenbourg d’aller à Berlin célébrer la victoire. C’est
le premier signe public de la campagne antisémite qu’il développera à partir de
1948 sous le drapeau de la lutte contre le « cosmopolitisme ».
Le 16 avril 1945, l’Armée rouge entame son
offensive sur Berlin, encerclé le 25 avril et pris d’assaut le 2 mai.
Six semaines avant la chute de la ville, Staline, devant les communistes
tchèques invités à dîner le 28 mars 1945, a brossé un tableau de sa
politique européenne. Il prononce une série de toasts, dont un en l’honneur de
l’Armée rouge, au cours duquel il s’excuse pour la manière dont ses soldats « peu
conscients collent et offensent les filles et les femmes », euphémisme
pour désigner la vague de viols qui a accompagné la libération du pays. Puis il
prononce un long discours, non rendu public, sur les slavophiles, ces
nationalistes russes du XIX e siècle qui voulaient unifier les
peuples slaves face à l’Occident maudit sous la férule du tsar et de l’Église
orthodoxe. Cette reprise de la vieille propagande monarchiste l’amène à
préciser : « Nous, les nouveaux slavophiles-léninistes, les
slavophiles-bolcheviks, les communistes, nous sommes partisans non pas de l’unification
mais de l’union des peuples slaves. Nous considérons qu’indépendamment des
différences dans la situation politique et sociale, indépendamment des
différences de mœurs et de techniques, tous les Slaves doivent être unis
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