Staline
les
uns les autres contre notre ennemi commun : les Allemands. »
Lénine se retournerait sans doute dans son mausolée à l’audition
de ces nouvelles définitions de « slavophiles-léninistes », de « slavophiles-bolcheviks »,
qui illustrent le tournant nationaliste radical qu’a pris la politique de
Staline. Il serait tout aussi surpris d’entendre la suite de son discours.
Selon Staline, en effet, les deux guerres mondiales ont été provoquées « par
la volonté des Allemands d’asservir les Slaves » qui ont le plus souffert
de ces guerres : « La Russie, l’Ukraine, les Biélorusses, les Serbes,
les Tchèques, les Slovaques, les Polonais. » Lénine et les bolcheviks
avaient donc tort de voir dans la défaite de l’Empire russe le moindre mal pour
ses peuples et de dénoncer le « social-patriotisme » et l’union
sacrée. Mais ce révisionnisme complet reste implicite.
À propos de la guerre qui s’achève, Staline dénonce avec
mépris la capitulation des Français qui « ont ouvert le front aux
Allemands », de la Belgique et la Hollande qui « ont aussitôt levé
les pattes en l’air et se sont couchées devant les Allemands ». Il
plaisante sur « les petites destructions » subies par l’Angleterre.
On pourrait croire, dit-il, que la menace allemande a disparu. C’est faux. « Je
hais les Allemands, mais la haine ne doit pas nous empêcher de juger
objectivement les Allemands. Les Allemands sont un grand peuple », avec
qui, dit-il, les Alliés s’efforceront de s’entendre. « Nous allons être
impitoyables avec les Allemands. […] Nous, les Slaves, nous devons nous
préparer à la possibilité de voir les Allemands se dresser à nouveau sur leurs
jambes et attaquer les Slaves », qui doivent par conséquent rester unis.
Staline nie ensuite que l’URSS veuille imposer son système
aux peuples slaves, même en Bulgarie, qui, pourtant, le veut. « Dans les
pays slaves amis nous voulons avoir d’authentiques gouvernements démocratiques »,
rien de plus [1277] .
Staline, dans ce véritable discours-programme non destiné au public, dit vrai
quand il affirme son refus d’exproprier le capital dans ces pays, mais il omet
de préciser qu’un gouvernement authentiquement démocratique à ses yeux, c’est
celui qui répond docilement aux exigences politiques et diplomatiques de
Moscou. Mais comment contrôler politiquement ces pays si la propriété privée
des moyens de production, massivement rejetée par les masses ouvrières et les
petits paysans misérables, y subsiste et constitue le support matériel d’un
pouvoir politique indépendant de Moscou ?
La victoire de l’Armée rouge lie, plus encore qu’avant la
guerre, les problèmes de l’ordre international avec ceux de l’ordre intérieur
en URSS. L’intégration de l’Ukraine occidentale, arrachée à la Pologne en 1939,
occupée par la Wehrmacht pendant deux ans et demi, ravagée par les bandes du
nationaliste Stepan Bandera, pousse Staline à resserrer les liens avec l’Église
orthodoxe. L’Ukraine occidentale est en effet le fief de l’Église uniate,
Église dissidente de rite orthodoxe, mais qui accepte l’autorité du pape. Le 15 mars,
Karpov, agent du NKVD, placé à la tête du Conseil de l’Église orthodoxe, remet
à Staline, à la demande de Molotov, une note affirmant : « L’Église
orthodoxe russe, qui dans le passé n’a pas consacré assez d’efforts dans la
lutte contre le catholicisme, peut et doit aujourd’hui jouer un rôle
significatif dans la lutte contre l’Église catholique romaine (et contre l’Église
uniate), qui s’est engagée sur la voie du fascisme et cherche à exercer une
influence dans la construction du monde après la guerre. » Staline
griffonne sur la note : « D’accord », pour utiliser et soutenir
l’Église orthodoxe contre l’Église catholique [1278] .
Dans la nuit du 1 er mai, Joukov appelle
Staline à 4 h 30 du matin. « Staline vient de se mettre au lit »,
lui répond le général Vlassik. Joukov insiste pour qu’on le réveille : « L’affaire
est urgente et ne peut attendre le matin. » Staline prend le combiné.
Joukov lui annonce le suicide d’Hitler : « Fini de jouer pour cette
canaille. Dommage qu’on n’ait pas pu le prendre vivant… [1279] » Une
semaine plus tard, le 8, Truman arrête les livraisons du prêt-bail, et les
Alliés reçoivent la capitulation des Allemands à Reims, sans la
Weitere Kostenlose Bücher