Staline
». On ne
saurait être plus suave. Les Yougoslaves ne seront avertis – oralement –
qu’à l’ouverture de la conférence du rôle qui leur est attribué par le maître
de cérémonie. Les Italiens et les Français ne savent rien de la volée de bois
vert qui les attend. Staline prépare la réunion comme une vaste
conspiration : la délégation du parti russe quitte l’URSS incognito, sans
passeport ni visa, muni de deux stations radio portatives. Aucune vérification
de documents n’est effectuée, au départ, dans un aéroport nettoyé de ses
voyageurs, pas plus qu’à l’arrivée. Le procès-verbal de la réunion est établi
en russe.
Chaque soir, dès la fin des débats, Jdanov, sous le
pseudonyme de Sergueiev, et Malenkov, sous celui de Borissov, en adressent un
compte rendu détaillé, par radio, à Staline, alias Filippov. Pour éviter de se
faire rabrouer, les deux hommes, quoique rivaux, s’entendent pour adoucir,
atténuer, voire embellir leurs informations. Ils résument minutieusement les
rapports des délégations en les assortissant de commentaires : le rapport
du Polonais Gomulka et du Yougoslave Kardelj est consistant, celui du Bulgare
Tchervenkov est moyen, celui du Roumain Gheorghiu-Dej faible, celui de Duclos
mauvais, celui de l’Italien Longo très mauvais, ceux du Tchèque Slansky et du
Hongrois Revai sont bons ; ceux des Yougoslaves Kardelj et Djilas très
bons, ce qui prouve que Staline et ses lieutenants n’envisagent pas encore la
rupture avec eux. Fondamentalement, expliquent-ils, tout va bien. Le 22 septembre,
ils informent Staline que « les délégués expriment leur grande
satisfaction de la convocation de la conférence [1363] ».
La politique des partis communistes français et italien,
exprimée dans les rapports de Duclos et de Longo, est soumise à de vives
critiques auxquelles les intéressés ne pouvaient s’attendre. On les accuse d’opportunisme
pour avoir appliqué la politique que Staline leur a dictée. Le renversement est
brutal : le 2 juin, Staline critiquait Thorez pour avoir quitté le
gouvernement, aujourd’hui, il reproche aux dirigeants français et italiens de
se coucher devant leur gouvernement, valet docile des Américains en train d’asservir
l’Europe. Le 25, Staline télégraphie ses remarques sur le rapport de Duclos à
Jdanov et Malenkov. Ils doivent lui faire reconnaître que le Parti communiste
français a eu tort de ne pas se déclarer en opposition au gouvernement, depuis
qu’il en a été chassé, et que d’avoir continué à se présenter comme « un
parti de gouvernement » était une erreur. Ils doivent également lui
demander les leçons qu’il tire de ces erreurs. Ils l’informent, le lendemain,
que Duclos a fait son autocritique sur ces deux points et que Luigi Longo a
fait encore mieux puisqu’il « s’est entièrement et totalement solidarisé
avec le rapport » qui le démolissait. D’ailleurs, « tous les
intervenants se sont entièrement solidarisés avec tous les points du rapport [1364] », dont l’analyse
de la situation internationale et les conclusions serviront de fondement à l’activité
de leur parti.
Le 27, Jdanov et Malenkov demandent à Staline s’il est d’accord
pour effacer les critiques contre les deux partis dans la résolution publique.
Staline confirme. Enfin, les Polonais, le dernier jour, informent les deux
Russes qu’ils « retirent tous leurs doutes et objections contre un bureau
d’Information légal et son installation à Varsovie [1365] ». En un
mot, Gomulka a été désavoué. Trop tard : la réunion a fixé son siège à
Belgrade, sur proposition des Yougoslaves. Le dernier message à Filippov est
triomphal : « La réunion s’est déroulée et conclue dans une
atmosphère de grand enthousiasme et d’entière satisfaction de ses résultats
exprimée par les participants. Les Français et les Italiens remercient
profondément le PCR pour son aide [1366] . »
Tout semble donc aller à merveille. Pourtant, la section de
politique étrangère du Comité central, dirigée par Souslov, prépare déjà une
campagne contre Gomulka, coupable d’« étroitesse nationale et de tentative
de diminuer le rôle de l’URSS et de son armée dans la libération du peuple
polonais [1367] ».
Elle dresse les autres membres du Bureau politique polonais contre lui. Gomulka
sera démis un an plus tard, puis emprisonné. Avant lui, les dirigeants
yougoslaves auront été
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