Staline
excommuniés. Le rapporteur tchécoslovaque, Slansky,
secrétaire du parti communiste, sera arrêté en 1950, puis pendu avec dix autres
dirigeants. La seconde déléguée roumaine, Anna Pauker, sera jetée en prison. On
peut déceler les prémices de leur disgrâce future non dans leurs interventions
personnelles, mais dans les réticences générales sous-jacentes que Staline a
perçues à travers les rapports roses de Jdanov et Malenkov. Les participants, à
la tête d’Etats-nations historiques, rechignent à n’être que les exécutants de
Moscou. Staline a pu leur imposer ce statut, à l’aide de sanglantes purges,
quand, réfugiés à Moscou, ils dirigeaient de minuscules partis communistes
illégaux. En 1947, il en va tout autrement.
Staline suit personnellement, et avec la plus grande
attention, la mise en place du Cominform, alors à peu près limitée à l’installation
du comité de rédaction de son organe de presse, dont Staline lui-même a choisi
le titre à rallonge : Pour une paix durable, pour une démocratie
populaire. Au début d’octobre, Jdanov et le pseudo-philosophe Ioudine,
désigné par Moscou comme rédacteur en chef du journal, viennent à Sotchi pour
en discuter avec Staline, cinq jours durant. Les décisions prises lors de ces
longs entretiens sont consignées dans une résolution du Bureau politique du 16 octobre
sur le programme et le sommaire des premiers numéros. Deux mois plus tard, le 15 décembre
au soir, plusieurs membres du Bureau politique se réunissent avec Ioudine chez
Staline pour en discuter à nouveau. Leur décision est consignée en une nouvelle
résolution du Bureau politique, qui fait assumer le coût des quatre premiers
numéros du journal par Moscou. Tous les chefs de service, sauf un, sont
soviétiques. La résolution décide aussi que 50 % des frais seront
supportés par le parti soviétique et prévoit un lourd déficit, puisque les
recettes envisagées ne couvriront qu’un quart des dépenses. L’intérêt porté par
Staline au Cominform, dont l’activité, réduite à quelques communiqués, est
toujours en suspens, et à son journal, illisible et pesant, paraît peu compréhensible.
Entre-temps, Staline reçoit le Secrétaire général, puis le
Secrétaire général adjoint des deux partis communistes occidentaux, étrillés en
Pologne. Le 18 novembre 1947, il reçoit secrètement Maurice Thorez
pour avoir avec lui une longue conversation de deux heures et demie, en
présence de Molotov. Une semaine auparavant, une grève a commencé à Marseille,
pour une augmentation de salaire de 25 %, qui s’étend, dès le 15 novembre,
au bassin minier du Nord, puis, le 17, à la métallurgie. Pierre Monatte baptise
alors « grèves Molotov » ce mouvement, auquel le ministre de l’Intérieur,
Jules Moch, attribue des visées insurrectionnelles absolument étrangères à
Staline. Thorez souligne, d’entrée de jeu, qu’il souhaite « recevoir les
instructions et les conseils du camarade Staline ». Leur long entretien n’évoque
la grève que brièvement. Staline interroge surtout Thorez sur l’état de l’industrie
et de l’armée françaises, et, lorsque Thorez l’informe du vote du comité
confédéral de la CGT contre le plan Marshall, ce dernier lui donne des conseils
de prudence : « Il ne faut pas aller trop loin dans la lutte contre
le plan Marshall […] les communistes sont pour les crédits, mais pour des
crédits qui n’affectent pas la souveraineté de la France. » Il insiste néanmoins
sur l’antiaméricanisme : le parti communiste doit être le défenseur de l’indépendance
nationale contre l’emprise américaine, relayée par les socialistes. Il se
montre plutôt paternel avec Thorez, sollicite son avis sur plusieurs dirigeants
communistes français et étrangers, et manifeste sa traditionnelle
méfiance : il lui demande s’il n’y a pas d’« agents ennemis »
parmi les dirigeants communistes espagnols qui assistent au Comité central du
PCF [1368] .
Cet échange sur les cadres l’intéresse davantage que la grève en France. Il
laisse Thorez rentrer au pays par la route des écoliers, tandis que le
mouvement se désagrège. Un mois plus tard, Thorez, faisant écho à Staline,
critiquera la direction de la CGT, qui « a fait un comité de grève avant d’avoir
des grévistes [1369] »,
et sur les directions qui décident à elles seules la grève générale. En l’occurrence,
Staline a joué les
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