Staline
aux seuls
événements du Caucase : le pogrome des Arméniens à Bakou, une
manifestation à Tiflis. Il n’y dit pas un mot du Dimanche rouge, qui suscite
pourtant la grève générale à Tiflis. Ce massacre ne provoque en lui aucune
réaction. Le cercle de ses soucis et de ses préoccupations est étroitement local.
Saint-Pétersbourg et ses ouvriers sont pour lui à des années-lumière.
Le III e congrès du Parti ouvrier
social-démocrate russe, purement bolchevik, se tient à Londres en avril 1905.
Koba n’est pas élu dans la délégation caucasienne de quatre militants, dirigée
par Kamenev. Resté à Batoum, il tente d’y constituer un comité bolchevik d’une
quinzaine de membres, face aux centaines de mencheviks de la cité. Dans un
article de mai 1905, c’est encore sur les statuts du Parti qu’il s’étend !
Il y qualifie le socialisme de « terre promise » où la classe
ouvrière arrivera inévitablement, « après avoir longtemps erré et souffert »,
à moins de confier son sort à la social-démocratie, véritable Moïse du
prolétariat, qui la guidera vers son royaume. Si le mouvement ouvrier spontané
accède à la conscience socialiste, il engendrera un mouvement social-démocrate « qui
s’élancera tout droit vers la "terre promise" [120] ». Mais
Koba avertit le lecteur : « Il ne faut en aucun cas permettre […] la
distribution des armes directement aux masses [121] . » Le
comité du Parti doit tout contrôler.
Pendant qu’il discourt ainsi, les défaites se succèdent en
Extrême-Orient : le 10 mars, les troupes japonaises écrasent les
Russes à Moukden. En octobre 1904, l’état-major russe avait lancé la
flotte de la Baltique dans un périple de 22 000 kilomètres pour
affronter la marine japonaise devant Port-Arthur. Après sept mois d’errance, de
péripéties multiples, dont le bombardement de bateaux de pêche britanniques, et
des avaries sans nombre, les 65 navires russes arrivent le 28 mai 1905
à Tsushima. La flotte japonaise, en embuscade, en envoie 62 par le fond. Cette
déroute met en évidence l’incurie du régime et suscite une nouvelle vague d’indignation
et de grèves. Le 14 juin, les matelots du cuirassé Potemkine se mutinent,
jettent leurs officiers à la mer et hissent le drapeau rouge. En juillet, un
socialiste-révolutionnaire abat le ministre de l’Intérieur Plehve. Les
campagnes grondent ; dans de nombreux villages, les paysans envahissent
les terres du propriétaire. Pour interdire son retour, ils brûlent son manoir,
ses galeries de tableaux et ses bibliothèques, quand ils n’éventrent pas sa
famille à coups de fourche.
Le 12 mai 1905, 44 000 ouvriers du
textile de la région d’Ivanovo-Voznessensk, à 400 kilomètres au nord-est
de Moscou, constituent pendant 72 jours le premier soviet (conseil des
délégués ouvriers) de l’histoire, qui dirige la grève, ferme les débits de
boissons, organise une milice contre les jaunes au service du pouvoir et se
dresse ainsi face à lui. En 1938, Staline jettera en prison, où il mourra sous
les coups, son président, l’ouvrier poète Nozdrine.
Le Caucase, et la Géorgie en particulier, sont en pleine
ébullition. Les paysans se soulèvent ici et là, et élaborent, en général avec l’aide
des mencheviks, de longues plates-formes revendicatives. Ils réclament
pêle-mêle la remise gratuite des terres du gouvernement et des grands
propriétaires, l’autonomie communale, l’abolition des impôts indirects, le
maintien des conscrits caucasiens au Caucase, l’abolition de la censure de la
presse, la création de bibliothèques publiques gratuites, etc. Dans ses
articles, Koba n’évoque jamais ces revendications élaborées par la base.
Le gouvernement feint de lâcher du lest. Le 18 février,
un manifeste impérial promet de convoquer un jour des représentants de la
population, pour « participer à l’élaboration et à la discussion
préparatoire des propositions législatives ». Un second manifeste, le 6 août,
annonce la convocation d’une Douma censitaire consultative. Ces premières
concessions à la bourgeoisie libérale aiguisent le mécontentement qu’elles
prétendent apaiser.
L’activité de Koba en ces temps troublés est modeste. Il
écrit quelques tracts et articles et, dans une Géorgie où l’éloquence est
reine, prononce quelques discours monotones. En avril, lors d’un débat à
Batoum, il stigmatise, sans succès, les
Weitere Kostenlose Bücher