Staline
s’ouvrent que devant ceux qui en sont dignes, […] qui ont
fait leurs preuves ». Le recrutement exige « une vigilance extrême ».
Il défend ce caractère fermé avec des accents religieux et militaires : « Ce
serait profaner ce qu’il y a de plus sacré dans le Parti que de donner à un
bavard le nom de membre du Parti (c’est-à-dire de dirigeant de l’armée des
prolétaires !). […] Le Parti […] par l’entremise du Comité central conduit
dignement en avant l’armée des prolétaires. » Le Parti, c’est la
discipline et l’unité de vues : « Que l’unité de vues vienne à
disparaître, et le Parti s’effondre du même coup. » Les désaccords sont
donc interdits. Sans discipline, en effet, le Parti n’est qu’un « banquet »
[sic !] ou une « famille patriarcale hospitalière [118] ». Ainsi,
pour Koba, le Parti, bien plus qu’une « avant-garde », constitue une
élite, un corps spécial, un ordre supérieur de type militaire dont la
discipline rigide est la vertu première.
Pendant qu’il disserte ainsi sur les statuts, la révolution,
qu’il n’entrevoit pas, frappe à la porte. Le 3 janvier, les ouvriers de l’usine
métallurgique Poutilov, à Saint-Pétersbourg, débraient contre le licenciement
de quatre d’entre eux. L’assemblée des ouvriers créée par le pope Gapone organise
la grève, qui s’étend, et entraîne le 8 janvier près de 120 000 ouvriers.
Le dimanche 9 janvier, sous un soleil qui fait resplendir les palais après
la neige de la nuit, une foule endimanchée de plus de 100 000 personnes
avance vers le palais d’Hiver pour remettre au tsar une pétition en psalmodiant
des chants religieux et en brandissant des portraits de Nicolas II. Ce
dernier est parti jouer aux dominos à Tsarskoe Selo, à 30 kilomètres de la
capitale. Confiants dans le tsar, mais inquiets devant le déploiement
formidable des 12 000 soldats et cosaques qui quadrillent la ville et
défendent le palais d’Hiver, les manifestants ont placé aux premiers rangs des
femmes et des enfants précédés de Gapone, barbe blanche au vent.
Les pétitionnaires réclament dans une plate-forme
revendicative, jamais rééditée en URSS sous Staline après 1926 (elle aurait par
trop rappelé des revendications toujours insatisfaites) : la libération
immédiate de toutes les victimes de la répression politique, sociale et religieuse,
l’arrêt de la guerre, la proclamation immédiate de la liberté et de l’inviolabilité
de la personne, de la liberté de parole, de la liberté de la presse, de la
liberté de réunion, de la liberté de conscience en matière religieuse, l’instruction
publique générale et obligatoire aux frais de l’État, la responsabilité des
ministres devant le peuple, l’égalité de tous devant la loi, la séparation de l’Église
et de l’État, l’abolition des impôts indirects et leur remplacement par un
impôt direct et progressif sur le revenu, l’abolition des annuités de rachat
pour les paysans, la liberté immédiate des syndicats, la journée de huit
heures, la réglementation des heures supplémentaires. La satisfaction de ces
exigences urgentes permettrait aux « ouvriers de s’organiser pour défendre
leurs intérêts contre l’exploitation éhontée des capitalistes et du
gouvernement des fonctionnaires qui pille et étouffe le peuple [119] ».
Lorsque la foule s’approche du palais, les cosaques, sur l’ordre
du frère du tsar, le grand-duc Constantin, tirent. La foule reflue, s’enfuit en
désordre, pourchassée dans la ville par des cosaques en furie qui la sabrent à
tort et à travers. Elle laisse officiellement sur le pavé 170 morts et 800 blessés
et mutilés, sans doute trois ou quatre fois plus dans les faits. Gapone maudit « le
tsar suceur de sang » et s’enfuit en Finlande. Quelques jours plus tard,
Nicolas II déclare à une délégation « ouvrière » choisie par la
police : « Venir en foule révoltée me déclarer vos besoins, c’est un
acte criminel. » Ce « dimanche rouge » ébranle dans tout l’Empire
la vénération traditionnelle envers le tsar, suscite une première vague de
grèves ouvrières, provoque des émeutes paysannes et donne un nouvel élan au
terrorisme ; le 2 février un SR abat le grand-duc Serge, gouverneur
de Moscou, oncle du tsar.
Revenu à Tiflis au début de janvier 1905, Koba rédige
en février deux proclamations du comité bolchevik consacrées
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