Staline
plusieurs centaines de villes et bourgs ravagés par les pogromes qui
laissent derrière eux plus de 3 000 morts et 10 000 blessés
et mutilés. Nicolas II reçoit les représentants de l’Union du peuple
russe, organisatrice de ces tueries, en décembre, les félicite pour leur
travail et accepte leur insigne.
Depuis le 13 octobre, le soviet de Saint-Pétersbourg
réunit de 400 à 500 délégués élus par les 200 000 ouvriers et
ouvrières de la ville et des représentants des trois partis « socialistes » ;
il organise, arrête, relance, suspend la grève, réclame la journée de huit
heures, l’augmentation des salaires, les libertés politiques, l’élection d’une
Assemblée constituante, défie pendant sept semaines Nicolas II, l’élu de
Dieu et de la Bourse française qui finance ses emprunts et ses arsenaux. Le 26 novembre 1905,
la police arrête son président. Le 2 décembre, le soviet appelle les
paysans à ne plus payer les indemnités de rachat, la population à ne plus payer
les impôts, et annonce qu’il « ne tolérera pas le paiement des dettes sur
les emprunts que le gouvernement du tsar a conclus alors qu’il menait une
guerre ouverte contre le peuple ». Le lendemain, la police arrête tout son
comité exécutif et ses trois coprésidents, parmi lesquels Trotsky, dont le nom
est désormais lié à cette forme neuve d’organisation des ouvriers qui porte en
elle le germe d’un autre État. Le 4 décembre, le soviet de Moscou appelle
à la grève générale dans la ville pour le 7 ; le 11 décembre, la
grève éclate à Tiflis. Le comité de grève de la ville est constitué de six
bolcheviks. Koba, parti dix jours plus tôt en Finlande, n’en est pas. L’armée
et la police chargent et tirent ; la grève tourne à l’émeute, qui sera
finalement vaincue. À Moscou, la grève, devenue insurrectionnelle, est écrasée
dans le sang le 17.
Du 12 au 17 décembre 1905, Koba participe, en tant
que délégué du comité de Tiflis, à la conférence bolchevique qui se tient à
Tammerfors en Finlande, grand-duché à moitié autonome, dont la police, dirigée
par un sympathisant social-démocrate, ne manifeste aucun zèle répressif. Il y
fait la connaissance de Lénine. Le peintre géorgien Vepkhadzé représentera la
scène trente ans plus tard : cinq délégués, dont Kroupskaia, dévorent
Staline du regard, véritable personnage central dont Lénine serre la main. Il s’agit
de suggérer l’idée d’un passage de témoin.
Staline fera de cette rencontre un récit faussement naïf,
devant les élèves de l’école militaire du Kremlin, une semaine après la mort de
Lénine. Il y dira sa déception de voir « un homme des plus ordinaires, d’une
taille au-dessous de la moyenne, ne différant en rien, mais absolument en rien
d’un simple mortel », et d’apprendre en outre qu’il était arrivé le
premier et qu’assis dans un coin « il poursuivait le plus simplement du
monde une conversation des plus ordinaires avec les délégués les plus
ordinaires ». Il s’attendait en effet à voir « l’aigle des montagnes
de notre parti, le grand homme, grand non seulement du point de vue politique
mais aussi du point de vue physique […] un géant à belle stature, l’air imposant ».
Et puis, selon un usage que Koba aurait appris on ne sait où, un « grand
homme » arrive habituellement en retard aux réunions pour se faire
attendre… « … les assistants avertissent par des "chut… silence… le
voilà". Ce cérémonial ne me semblait pas superflu, car il en impose, il
inculque le respect [124] . »
Le récit est fabriqué ; en décembre 1905, Lénine n’était encore pour
personne un grand homme et Koba avait passé l’âge où l’on se représente le « chef »
comme un géant. En février 1924, il cherche à rassurer les dirigeants
bolcheviks qu’il veut rallier contre Trotsky, et c’est pourquoi sans doute il
recourt à cette imagerie naïve.
Au cours de cette conférence il s’oppose à Lénine. Le
manifeste du 17 octobre promettait des élections à la Douma dont l’organisation
vient d’être annoncée par une loi du 11 décembre. Ont le droit de vote
tous les hommes de 25 ans au moins, propriétaires, locataires ou
assujettis à l’impôt. Le scrutin, à plusieurs degrés (de deux à quatre), est
organisé sur la base de quatre curies : nobles, paysans, bourgeois
citadins et ouvriers ; les peuples « allogènes »
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