Staline
intervenants, sans
s’expliquer sur cette dérobade. Peut-être craint-il d’endosser la livrée de l’héritier
présumé et trop pressé…
Staline ne prend la parole que le soir de la dernière séance
du congrès, le 14 octobre. Lorsque le président de séance, Vorochilov,
annonce : « La parole est au camarade Staline », toute l’assistance
se lève dans une énorme ovation. Staline se dirige lentement vers la tribune et
fixe la salle qui vocifère d’un regard toujours aussi morne et indifférent. Il
se dandine d’un pied sur l’autre, se caressant la moustache ou le menton de son
index droit. Par deux fois il lève la main pour inviter la salle à interrompre
son ovation mais, à chaque fois, les hurlements redoublent d’intensité. Le
silence enfin revient. Staline prononce, d’une voix lente et monocorde, un
discours de sept minutes entrecoupé d’applaudissements prolongés qui en
triplent la durée.
Son intervention, muette sur les problèmes intérieurs de l’URSS,
se résume à deux idées : d’une part, celle-ci profondément éprise de paix,
a besoin du soutien de tous les peuples pacifiques qui, ce faisant, se
soutiennent eux-mêmes ; d’autre part, la bourgeoisie, en capitulant devant
l’impérialisme américain, a abandonné le drapeau des libertés démocratiques
bourgeoises et celui de l’indépendance et de la souveraineté nationales. Les
partis communistes doivent relever ces deux drapeaux « pour devenir la
force dirigeante de la nation », c’est-à-dire la force motrice d’un
regroupement antiaméricain au service de la politique extérieure de Moscou. Le
congrès supprime le mot bolchevik de l’appellation du parti au motif que les
mencheviks n’existent plus, décide de réviser son programme et désigne à cet
effet une commission de onze membres, dont font partie Staline, Beria,
Kaganovitch, Malenkov et un inconnu, Dmitri Tchesnokov, obscur rédacteur en
chef de la revue Voprossy Filosofii, qui restera muet tout au long des
débats. Le congrès supprime le Bureau d’organisation et confie le contrôle des
cadres à un Secrétariat de dix membres, parmi lesquels on compte Brejnev,
Malenkov, Mikhailov, Staline, Souslov et Khrouchtchev. Enfin, la fonction de
Secrétaire général – titre auquel Staline ne faisait plus référence depuis
1934 lorsqu’il signait des documents – est abolie.
L’atmosphère qui entoure le Comité central les 16 et 17 octobre 1952
est bien différente. Staline, qui a interdit de sténographier son discours,
ouvre la séance par un rapport d’une heure et demie, qu’il prononce debout,
sans notes, en fixant de ses yeux plissés l’assistance pétrifiée par le ton de
son discours et sa manière de parler. Molotov, Mikoian, Malenkov et Beria sont
installés derrière lui. Il commence benoîtement par une proposition de retraite
anticipée : il se fait vieux, il faut prendre le relais et assurer la
relève. Puis il insiste : « La lutte avec le capitalisme va devenir
plus féroce encore. Devant l’aggravation certaine de la situation, le danger le
plus grave est la tendance à trembler, à prendre peur, à reculer, à capituler. »
Soudain, il met des noms sur cette « tendance » : celui de
Molotov, « l’incarnation même de la capitulation devant l’impérialisme »,
accusé « d’instabilité, de mollesse », de « lâcheté et de
capitulation [1487] »,
et celui de Mikoian.
L’écrivain Constantin Simonov, nouvel élu, stupéfait, pense
d’abord avoir mal entendu ou mal compris ; mais Staline dresse ensuite la
liste des « capitulations » de Molotov depuis la fin de la guerre. Il
l’accuse tout simplement de « déviation de droite ». La preuve :
en 1946, Molotov avait proposé d’augmenter de 10 kopecks le kilo à 15 kopecks
le prix payé aux kolkhozes pour le blé collecté. Placer Molotov dans le sillage
du traître Boukharine annonce et justifie sa future liquidation.
Vient alors le tour de Mikoian, accablé par quelques
formules méprisantes. Dans la salle règne un silence de mort. Les quatre
dignitaires du Bureau politique, dans le dos de Staline, sont aussi pétrifiés
que le reste de l’assistance. Le choix de ces deux hommes est logique :
Molotov est l’époux, même divorcé, de Paulina Jemtchoujina, convaincue de
nationalisme juif ; Mikoian est le beau-père de la fille du principal
condamné à mort de l’af faire de Leningrad, Alexis Kouznetsov. Molotov
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