Staline
lui. Il leur a lu l’opuscule et demandé s’ils
avaient des questions à poser, des observations à faire et ce qu’ils en
pensaient. Chacun a bafouillé vaguement son admiration. « J’ai fait
quelques observations comme ça, des bricoles [1478] », dit
Molotov, qui ne s’est pas alors rendu compte de l’importance de cet ouvrage,
dans lequel Staline affirme que le « marché mondial s’est scindé » en
deux. Il existe, selon lui, deux marchés mondiaux parallèles, le marché
capitaliste et le marché socialiste, qui se développent indépendamment l’un de
l’autre : le premier est en crise, le second en expansion permanente.
Staline conforte les radieuses perspectives du « marché socialiste »
par le « constat » de la diminution constante de la production sur le
marché capitaliste.
Ces textes révèlent des incohérences frappantes. Le 1 er février,
Staline nie, par exemple, que le maintien de la production marchande (c’est-à-dire
l’écoulement des marchandises sur le marché par le biais de la monnaie) puisse
mener au rétablissement du capitalisme et affirme que la production des
kolkhozes a encore un long avenir devant elle. Quatre mois plus tard, il
affirme strictement le contraire. Le 22 mai, en effet, il reproche à l’économiste
larochenko de ne pas comprendre que « la circulation des marchandises […]
commence dès aujourd’hui à entraver le vigoureux développement de nos forces
productives, en empêchant l’État de planifier entièrement l’économie nationale
et notamment l’agriculture » et que, plus cela ira, pis ce sera. Il juge
donc nécessaire d’étatiser les kolkhozes « et de substituer aussi par
étapes successives l’échange des produits à la circulation des marchandises [1479] ». Bref,
il veut remplacer l’échange des marchandises à travers la vente et l’achat par
un système de troc.
Il revient sur cette idée dans un texte du 28 septembre,
où il rappelle que, selon Engels, « la circulation de marchandises doit
amener inévitablement […] à la renaissance du capitalisme ». Il faut donc
que la production des kolkhozes, en plus de leurs livraisons obligatoires
vendues à l’État, « soit éliminée de la circulation des marchandises et
intégrée au système d’échange de produits entre l’industrie d’État et les
kolkhozes ». Staline propose ni plus ni moins d’en revenir au « communisme
de guerre », qui ne serait plus, cette fois, le produit de la guerre
civile, mais qui la provoquerait : la collecte et l’échange centralisés
des produits, permettant une planification plus harmonieuse de la pénurie,
spolieraient davantage encore la paysannerie et auraient pour conséquence un
renforcement du caractère policier de l’État et un élargissement du Goulag.
En cet été 1952, seules les grandes capitales sont
approvisionnées en viande, en pommes de terre et en légumes, qui disparaissent
à intervalles réguliers partout ailleurs. Staline en discute avec Mikoian qui,
en juin 1953, évoquera « un déficit aigu » de ces produits [1480] . Il en donnera
alors une explication simple : étant donné le prix que l’État paye aux
kolkhozes le kilo de pommes de terre et de viande de bœuf (le litre d’essence
qui, en 1930, représentait pour le paysan l’équivalent d’une livre de viande,
représente en 1952 l’équivalent de quatre kilos… soit huit fois plus !),
vendre des pommes de terre ou de la viande à l’État, c’est les brader, et le
paysan préfère ne rien vendre, laisser les pommes de terre pourrir dans les
champs et les bœufs du kolkhoze mourir. Mais, en 1952, Mikoian n’ose pas
expliquer à Staline que la baisse permanente du prix de la viande au détail
destinée à la propagande (en 1952, le prix du kilo de viande représente 42 %
de son prix de 1947) conduit l’État à la payer chaque année moins cher au
paysan, qui, en réponse à ce pillage en règle, pratique la grève des bras
croisés. Mikoian pense qu’il faudrait augmenter le prix d’achat de la viande et
du lait aux kolkhozes pour résoudre le problème, mais il n’ose pas le dire à
Staline.
Ce dernier envisage une autre solution, radicale
celle-ci : élever à 40 milliards par an (Khrouchtchev dit 42 milliards)
le montant des impôts sur les kolkhozes et les kolkhoziens, dont les revenus
annuels s’élèvent alors à… 42 milliards de roubles. En juillet 1956,
Khrouchtchev exposera aux dirigeants
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