Staline
. »
Mais il ne croit pas que l’écrasement de la révolution russe fouetterait la
révolution allemande. Le rapport des forces dans les sommets du Parti ne lui
est pas favorable. À la réunion des cadres de Petrograd, le 8 janvier, il
recueille ainsi 15 voix, Trotsky 16, les communistes de gauche 32. Le
Comité de Moscou, qui, le 28 décembre, avait demandé « une guerre
sans merci contre la bourgeoisie du monde entier », exige une seconde
fois, le 11 janvier, « l’interruption des pourparlers de paix »
et la préparation de « la guerre sainte pour le socialisme [278] ». Le 19 janvier,
Staline voit une issue dans la proposition intermédiaire de Trotsky. Le 21, à
la question : « Est-il admissible de signer à l’heure actuelle une
paix annexionniste avec l’Allemagne ? », le Comité central répond non
par 9 voix contre 5, dont celles de Lénine et de Staline.
Le 14 janvier, les sociaux-démocrates finlandais ont
pris le pouvoir à Helsinki. La bourgeoisie finlandaise confie son sort au
général tsariste Mannerheim qui, avec l’aide de la division allemande Von der
Goltz, écrase les « rouges » au début d’avril et déclenche une
terreur inouïe : des femmes et des prisonniers, alignés devant des murs ou
des fosses, sont abattus à la mitrailleuse, les blessés sont systématiquement
achevés et soixante mille prisonniers survivants entassés dans les premiers
camps de concentration de la guerre civile ou dans les prisons surpeuplées ;
la moitié sont fusillés ou emportés par le typhus. La terreur blanche fait au
bas mot 30 000 morts.
Le 30 janvier, le commandant en chef des armées publie
le décret de démobilisation de l’armée. Quatre jours après, le 16 février
(pour substituer au calendrier julien le calendrier grégorien, la Russie passe
directement du 31 janvier au 14 février), le haut commandement
allemand annonce qu’il mettra fin à l’armistice le 18 février à midi. Le 17 février
au soir, le Comité central refuse néanmoins de « proposer immédiatement à
l’Allemagne d’engager de nouveaux pourparlers en vue de la signature de la paix »
par 6 voix contre 5 pour (dont Lénine, Staline et Sverdlov).
Ce refus obstiné fait peser une menace mortelle sur la jeune
République soviétique. Le 18 février, les Allemands se mettent en marche.
Les soldats russes détalent à la seule vue de leurs uniformes, sans même que la
Reichswehr tire le moindre coup de fusil. Pourtant, le matin de ce jour, le
Comité central rejette encore la possibilité « d’envoyer immédiatement une
proposition sur la reprise des pourparlers de paix » par 7 voix
contre 6, puis, devant la fuite éperdue des troupes russes, l’adopte le
soir même par 7 voix contre 6, Trotsky, face au désastre, passant du
non au oui. Les Allemands, répugnant à prolonger une aventure militaire dans
cet espace apparemment infini, avancent néanmoins de lourdes exigences
supplémentaires ; ils réclament en particulier l’abandon de la Livonie et
de l’Ukraine, où s’est installé un gouvernement autonome, la Rada, avec lequel
ils ont déjà signé un armistice séparé. Ce jour-là, discutant par téléphone
avec un responsable du Comité exécutif des soviets d’Estonie agonisant face à l’avance
allemande, Staline trouve « remarquable » l’idée d’un camp de
concentration. Ce n’est pas encore le Goulag [279] .
Jusqu’aux camps politiques créés par le gouvernement finlandais blanc, le mot
désigne alors un lieu où l’on entasse prisonniers et adversaires.
Le 23 février, au Comité central, sous l’offensive des
partisans enragés de la guerre révolutionnaire, Lénine menace de démissionner.
La violence des débats sourd à travers le procès-verbal. Un communiste de
gauche, Lomov, déclare qu’il n’y a pas de raison d’avoir peur que Lénine se
retire : « il faut prendre le pouvoir sans Lénine » et aller sur
le front faire la guerre. Staline, désorienté, propose de ne pas signer, mais d’entamer
des pourparlers de paix. C’est un peu tard, et Lénine s’en explique : « Staline
a tort lorsqu’il dit qu’on pourrait ne pas signer. Il faut signer ces
conditions. Si vous ne signez pas, c’est l’arrêt de mort du pouvoir soviétique
que vous signerez dans moins de trois semaines […]. La révolution allemande n’est
pas encore mûre. Elle nécessitera plusieurs mois. » (Elle éclatera, de
fait, en novembre.) Staline
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