Staline
Tchernov, ancien ministre de l’Agriculture
du Gouvernement provisoire. Celui-ci prononce un discours de deux heures qui
lasse tout le monde, y compris ses partisans. Après lui, 54 interventions
se succèdent, dont sept d’un seul et même SR ukrainien, mais aucune de Staline,
qui se tient à l’écart de ce ballet oratoire. La séance, commencée à 4 heures
de l’après-midi, dure jusqu’à 4 heures du matin. Mais les bolcheviks et
les SR de gauche ont quitté l’assemblée peu après minuit. Ces derniers, opposant
le sens du vote à son résultat, dissolvent une Assemblée dominée par les
faillis de l’année 1917, qui ont refusé de reconnaître les décisions du
second congrès des soviets en octobre 1917. Les SR et les mencheviks ne
mobilisent que de maigres troupes pour défendre une Assemblée dont la
dissolution n’émeut guère une population paysanne surtout soucieuse de paix et
qui s’intéresse plus à ses soviets locaux qu’à la lointaine Constituante.
Mais le Conseil des commissaires du peuple avait été conçu,
le 26 octobre, comme un gouvernement destiné à s’effacer avec la
convocation de l’Assemblée. Il lui faut maintenant confirmer juridiquement sa
légitimité. Une commission du Comité exécutif des soviets élabore alors à la
hâte un bref « Projet de résolution sur les institutions fédérales de la
République de Russie », que Staline présente très brièvement au III e congrès
des soviets, réuni du 10 au 18 janvier à Petrograd, en conclusion de son
rapport sur la question des nationalités. Sa biographie officielle n’y fait aucune
allusion. Le texte adopté affirme que l’organe suprême du pouvoir est le
Congrès des soviets, réuni au moins une fois tous les trois mois, et que le
Conseil des commissaires du peuple est élu et modifié, totalement ou en partie,
par le Congrès des soviets, ou par le Comité exécutif central, affirmations
bientôt vidées de contenu réel.
Staline apporte deux correctifs à la déclaration du 2 novembre
sur le droit des nationalités à l’indépendance. Il souligne d’abord que la
bourgeoisie de certains territoires, comme l’Ukraine, sous couvert d’aspirations
à l’indépendance nationale, dissimule sa volonté d’affirmer son pouvoir de
classe. Il ajoute, reprenant une idée avancée par Lénine : le principe de
l’autodétermination doit être un moyen du combat pour le socialisme, il doit
être, pour cette raison, subordonné aux principes du socialisme.
L’Église orthodoxe se joint alors à la coalition
antibolchevique. Enragé par l’instauration du mariage civil et le décret de
séparation de l’Église et de l’État, promulgué le 22 janvier, le
patriarche Tikhon se déchaîne et, dans une lettre pastorale, qualifie les
nouveaux gouvernants d’« esprits insensés », engagés dans une « entreprise
réellement satanique », et interdit à tous les fidèles d’« entretenir
une quelconque relation avec ces rebuts du genre humain [275] ». Le
clergé ameute les fidèles contre le décret.
Face à la faim menaçante, le gouvernement forme, le 8 janvier,
une commission du Ravitaillement composée de quatre membres, dont Staline,
lequel propose aussitôt de dissoudre le commissariat du peuple à l’Approvisionnement,
inefficace à ses yeux. À tort ou à raison ? Difficile à dire, mais c’est à
ce moment que, pour la première fois, Staline dénonce l’incompétence, la
nullité ou la paresse de certains responsables, avant de crier au sabotage
délibéré.
Au cours des discussions dramatiques sur la question de la
paix, Staline se range d’emblée du côté de Lénine, mais caricature en la
schématisant son argumentation. Le 11 janvier, il déclare : « Il
n’existe pas de mouvement révolutionnaire en Occident, il n’y a pas de faits,
il n’y a qu’une virtualité et nous ne pouvons pas compter sur une virtualité [276] . » Or, le 4 janvier,
la grève générale a secoué Varsovie, occupée par les troupes allemandes, et
Vienne où elle a submergé la capitale quatre jours durant. Le rejet de la
guerre monte dans toute l’Europe. Lénine rectifie aussitôt, en insistant sur la
réalité de ce mouvement de masses : « Si nous croyons que le
mouvement allemand pourrait se développer immédiatement en cas de rupture des
pourparlers de paix, nous devons nous sacrifier, car la révolution allemande
serait d’une force supérieure à la nôtre [277]
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