Staline
l’Armée rouge cesse de les harceler ;
Staline souligne le caractère contre-révolutionnaire des actions de Kaledine
qui bloque les convois de blé et de charbon vers le nord. La délégation lui
demande :
« Si nous instaurions un pouvoir sur des bases
pleinement démocratiques, est-ce que vous cesseriez la guerre contre nous ?
— Bien sûr, répond Staline.
— Même si ce pouvoir ne reconnaissait pas le pouvoir du
Conseil des commissaires du peuple ?
— J’ai peine à répondre, rétorque Staline un peu
embarrassé. Mais nous sommes hostiles à l’idée de conserver des peuples de
force. Et si la volonté du peuple travailleur est exprimée de façon définie,
alors bien sûr… »
La délégation l’interroge : que feront les bolcheviks
si l’Assemblée constituante ne reconnaît pas les décrets sur la paix, sur la
terre et sur la nationalisation des banques ? Staline leur répond sans
détour : « Nous dissoudrons l’Assemblée constituante et nous
organiserons de nouvelles élections. » Et, reprenant la théorie de la
volonté générale selon Robespierre, il précise : « Nous avons reçu le
pouvoir directement du peuple, par la voie révolutionnaire ; le peuple
nous a confié son destin et nous n’avons pas le droit d’abandonner le pouvoir
et de confier la défense de ses intérêts et le destin même du peuple à quelqu’un
d’autre [272] . »
Deux jours plus tard, le 29 décembre, il signe avec Lénine un décret
gouvernemental affirmant le droit des Arméniens à l’autodétermination jusqu’à l’indépendance
pleine et entière. C’est l’un de ses derniers actes effectifs de commissaire
aux Nationalités.
Dans l’appareil du Parti, qui commence à jouer un rôle
gouvernemental, son étoile monte. Trotsky remarque vite que Lénine le pousse :
« Il appréciait en Staline la fermeté du caractère, l’opiniâtreté, la ruse
même [273] »,
toutes qualités fort utiles en cette période où tant de dirigeants hésitent et
flottent, incertains. Il occupe alors une place centrale. Avec Sokolnikov,
Boukharine et Trotsky, il anime le comité de rédaction de la Pravda. En
compagnie de Lénine, Sverdlov et Trotsky, il décide de toutes les questions
extraordinaires après consultation obligatoire de tous les membres du Comité
central présents. Tel est le pouvoir de ce fameux quatuor institué le 29 novembre.
Le 19 février 1918, la coalition bolcheviks-SR de gauche formera un
comité exécutif commun, composé de deux SR, Prochian et Karéline, et de trois
bolcheviks, Lénine, Trotsky et Staline.
Plus que la contre-offensive de ses adversaires et que la
crise provoquée en son propre sein par son isolement au sommet du pouvoir
politique, c’est la désagrégation galopante du pays, cause même de la
révolution, qui menace le plus gravement le nouveau gouvernement. La révolution
est en effet bousculée par le bouleversement social dont elle est née. Toutes
les structures de l’État et de l’économie se disloquent en même temps. Les
paysans, en se partageant les terres, détruisent souvent les locaux, l’outillage
et le mobilier du propriétaire foncier, lorsqu’ils ne peuvent se les partager.
Les soldats-paysans d’une armée agonisante, pour qui le gouvernement des
soviets signifie le partage des terres et la paix immédiate, désertent chaque
jour plus massivement les tranchées, abandonnant mitrailleuses et canons, et
brigandent souvent sur le chemin du retour. Les comités d’usines prétendent
gérer leur entreprise et disposer souverainement d’une production qui s’effondre ;
souvent les soviets locaux veulent gouverner sur leurs territoires, garder le
contrôle de leurs ressources et n’obéir qu’aux ordres de la capitale qui leur
conviennent, allant même parfois jusqu’à taxer les sorties de marchandises.
Bref, l’autonomie locale menace de démanteler la République des soviets. Le
spectre de la famine, déjà menaçant en octobre, rôde. Les chemins de fer sont
attaqués par des bandes qui se parent de couleurs politiques diverses, surtout
anarchistes, pour justifier brigandage, viols et assassinats. Leur paralysie
désorganise le ravitaillement : le blé s’entasse dans le Don ou dans la
région de Samara pendant que les habitants de Petrograd ou de Moscou crient
famine. La désorganisation engendre le chaos et encourage la combine et le
trafic.
Les dirigeants bolcheviks, désorientés et désarmés, prennent
des
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