Staline
viol imaginaire de la jeune
fille annoncerait le viol ultérieur des masses. L’invention est aussi primitive
que l’explication qu’elle prétend fonder.
Le commissariat aux Nationalités est alors dispersé dans
quelques pièces, aux quatre coins de la ville. Staline veut un local unique et,
peu sûr de la validité de ses arguments ou de sa capacité à les défendre,
organise un véritable squat. Le Conseil suprême de l’économie nationale (CSEN)
n’avait pas encore occupé le Grand Hôtel de Sibérie qui lui était alloué. Une
nuit Staline, Nadejda Alliluieva et Pestkovski, armés de punaises et de papier,
y pénètrent, remplacent la pancarte portant le sigle du CSEN par une autre au
nom du commissariat aux Nationalités, découvrent une entrée secondaire non
cadenassée, entrent, et, à la lumière de leurs allumettes, piquent au hasard
des pancartes sur les portes. Leur stock d’allumettes épuisé, les trois
squatters dévalent l’escalier dans le noir, manquent de se rompre le cou,
arrivent enfin au sous-sol, et parviennent péniblement à retrouver la sortie et
leur auto. Le lendemain, l’hôtel est rendu à l’Économie nationale et les
pancartes nocturnes des squatters arrachées…
CHAPITRE IX
Le commissaire botté
Le 20 février, le gouvernement a créé une « Armée
rouge » et un Conseil supérieur de la guerre (rebaptisé plus tard Conseil
militaire de la République) dirigé par Trotsky, commissaire du peuple à la
Guerre et à la Marine. Il tente d’abord de former une armée de volontaires
issus de l’ancienne armée et de gardes rouges. Mais ces derniers,
inexpérimentés, s’ils peuvent garder une usine ou un dépôt, n’ont jamais été
formés au combat. De plus, toute une couche de déclassés et de marginaux,
produit de la décomposition de l’armée et de la société, pénètre massivement dans
cette nouvelle Armée rouge et dans la Tcheka. Trotsky le souligne dans un
discours le 7 juin 1918. En raison de la déliquescence de la
discipline du travail, il « s’est formé dans les couches profondes du
peuple, dit-il, une couche indésirable d’ouvriers et de paysans déclassés […]
certes l’Armée rouge comporte beaucoup de combattants héroïques et pleins d’abnégation,
mais aussi beaucoup d’éléments indésirables, de voyous, de fainéants, de
déchets [283] »,
noyau de détachements de partisans indisciplinés, plus portés sur la vodka et
la maraude que sur le combat. Aussi un décret du 9 juin décide-t-il la
mobilisation ouvrière, qui se révèle vite insuffisante.
Faute d’encadrement militaire communiste compétent, Trotsky
veut former l’ossature de l’Armée rouge avec le corps des officiers de l’armée
tsariste, professionnels politiquement incertains, qu’il encadre par des
commissaires politiques bolcheviks chargés de vérifier l’innocuité politique de
leurs ordres. L’Armée rouge est ainsi bien hétérogène : on y trouve aussi
bien des ouvriers et des militants communistes (un demi-million en trois ans de
guerre civile, dont la moitié périront), que des « spécialistes militaires »
tsaristes (de 60 à 75 000 selon les statistiques), une masse flottante de
paysans, de 1 à 3 millions selon les périodes, soit volontaires, soit
recrutés de force, et des dizaines de milliers de déclassés. Sans compter plus
de 300 000 Hongrois, Coréens, Chinois, qui se battent par conviction.
L’Armée rouge en gestation est encerclée de toutes parts. En
mars 1918, les Allemands et les Autrichiens occupent l’Ukraine, et un
gouvernement russe de l’Extrême-Orient, présidé par le prince Lvov, se forme à
Pékin. En avril, les Japonais débarquent à Vladivostok. Fin mai, les 35 à 40 000 soldats
tchécoslovaques de l’armée autrichienne, faits prisonniers sous le tsar,
évacués vers l’est et échelonnés le long du transsibérien, ont un accrochage
avec le soviet de Tcheliabinsk. Trotsky leur ordonne de rendre les armes ;
ils se soulèvent alors, s’emparent de la ville, puis de Penza, Samara,
Vladivostok, Omsk où ils installent un gouvernement socialiste-révolutionnaire.
En juin, les SR organisent des soulèvements à Tambov, Ekaterinbourg, abattent
le dirigeant bolchevik Volodarski à Petrograd ; l’organisation de Boris
Savinkov soulève laroslavl. À la fin du mois, dans les régions cosaques du Don,
l’ataman Krasnov reconstitue une armée de 40 000 cosaques, cavaliers
et pillards également
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