Sur le quai
sur elle-même après
qu’il se fut lassé de la frapper.
Pleurant à nouveau.
– Je ne suis pas dingue, murmura-t-elle en lui jetant un
regard de haine. Tu l’as tué. Je le sens. Je le sais. Et tu vas le
payer, Alex…
Alexandre Caillard faillit se jeter sur elle et l’étrangler pour
qu’elle se taise.
Mais il eut peur.
Les voisins avaient dû entendre toute cette sarabande.
Il tenta de se calmer en se disant que le plus urgent, pour le
moment, était de l’amadouer.
– Tu vas le payer, poursuivait-elle d’une voix rauque et
lourde de menaces. Tu vas m’épouser ou alors tout le monde
saura…
Alexandre Caillard sentit un nœud coulant se resserrer autour de
sa gorge.
Il se sentit totalement impuissant et piégé de partout.
Eux. Elle…
Il n’avait pas songé un seul instant à protester de son
innocence.
Pourtant, ce n’est pas lui qui avait tué Jean Lestrade.
Mais, le plus dur, ce fut l’incinération de Lestrade au
Père-Lachaise, où Dany le traîna.
Les parents Lestrade.
– Il était si content ce soir-là quand il est parti de chez
nous en disant qu’il avait rendez-vous avec toi…
Et le regard embué de sa sœur Odile et de son frère Bernard qui
lui souriaient.
– Tu étais son meilleur ami…
Et les copains du groupe qui lui tapèrent affectueusement sur
l’épaule.
– C’est dur pour toi, hein !
Et Dany qui chialait comme si elle avait été sa veuve.
Et ses propres parents qui avaient tenu à l’accompagner à la
cérémonie.
Sa mère, surtout.
– Tiens le coup, mon grand…
Mais le point d’orgue de ce cauchemar, ce furent ses fiançailles
en septembre.
En petit comité. Ses parents et la mère de Dany. Un couple
d’amis habitant l’immeuble. Une collègue de Dany.
C’était d’une tristesse à crever.
Il eut l’impression de vivre ses propres funérailles lorsque les
mères fixèrent la date de mariage pour juin 67.
Alors, en octobre, quand il fut contacté, ce fut pour lui une
bouffée d’oxygène.
Presque.
Un autre type de galère.
Pourtant, il leur devait ce qu’il était devenu dans la vie.
Un grand ténor du barreau et une des personnalités les plus en
vue..
Mais c’est là que ça coinçait. Il leur devait tout.
8
C’était fin octobre. À la sortie de la fac de droit d’Assas.
Alexandre Caillard l’avait tout de suite reconnu. De toute
façon, on ne pouvait pas oublier son regard hautain et
condescendant comme malgré lui. Des yeux bleus en bille d’acier qui
inquiétaient dès qu’une lueur rieuse en jaillissait.
Ils avaient à peu près la même taille, un mètre soixante-dix.
Mais François Cavalier avait trois ans de plus que lui.
Quand il lui serra la main, Alexandre Caillard ne put retenir un
frisson.
Ce type avait une peau froide de serpent. Un tueur-né.
Il avait été très clair.
– Tu ne poses jamais de question, tu exécutes les ordres et
tout se passera bien. Je suis ton chef de groupe.
Il l’avait interrogé sur ses relations avec ses anciens
camarades du groupe anar franco-espagnol et Alexandre Caillard
avait dû reconnaître qu’elles étaient plutôt distendues.
– Alors, tu les resserres, lui avait-il dit d’un ton qui
n’admettait pas la réplique, tu les fréquenteras plus assidûment et
tu m’informeras chaque quinzaine de leurs projets. S’il y a
urgence, note ce numéro où tu pourras toujours laisser un message,
de jour comme de nuit.
Il avait voulu demander : « C’est tout ? »
Mais il s’était retenu en se mordillant la lèvre. « Ne pas
poser de question. »
Évidemment, ce n’était pas tout.
Au fil des mois, assez rapidement d’ailleurs, François Cavalier
lui demanda d’essayer d’influer certaines décisions du groupe.
C’est alors qu’Alexandre Caillard attrapa le virus du plaisir de
la manipulation.
C’était facile. Surtout que les camarades lui faisaient entière
confiance.
Curieusement, c’est cette confiance même qui avait déclenché en
lui un curieux processus de mépris à leur égard.
Au début, il avait craint que son double jeu ne soit découvert.
À un point tel qu’il lui avait parfois été difficile de trouver le
sommeil. Puis il s’était vite rendu compte qu’il était
insoupçonnable. « Ils sont trop stupides et
cons pour ça », s’était-il dit.
Il avait même eu des idées de coups tordus. Qu’il avait
suggérées à François Cavalier.
Parfois, ils en avaient ri
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