Sur le quai
inquiétez pas, dit-il, nous sommes français et
nous appartenons à un service français. Mais nous avons parfois des
intérêts communs avec le service de Perez, comme aujourd’hui. Pour
échanger des informations ou un coup de main. Les Espagnols
nous ont beaucoup aidés pour neutraliser nos activistes de l’OAS
qui s’étaient réfugiés en Espagne. Ils se sont retournés contre eux
après les avoir soutenus et, en échange, nous avons neutralisé
leurs activistes antifascistes réfugiés chez nous. Malheur aux
vaincus !
Puis il lui sous-entendit qu’il n’aurait pas à regretter sa
collaboration « patriotique ». Qu’il en verrait son
existence grandement facilitée.
– Nous ferons de vous un grand avocat, conclut-il en lui
tapotant le bras.
Alexandre Caillard s’efforça de sourire.
Il n’avait pas le choix. Depuis le début il était piégé. À
présent, il se retrouvait pieds et poings liés.
Des inconnus jouaient avec lui et le mettaient sur des rails –
il frémit à cette évocation et entendit résonner le bruit mat du
corps de Lestrade heurté par la cabine.
Qui était mort sans même un cri.
7
Alexandre Caillard fut de retour chez lui vers 23 h 30. La 403
l’avait laissé sur le trottoir de la mairie, place Gambetta, et il
avait remonté l’avenue l’esprit cotonneux. Il se sentait entre
parenthèse.
Évidemment, Dany ne dormait pas.
Elle était même assise tout habillée sur le canapé-lit.
Il lui trouva un air bizarre. Elle avait les yeux rougis, comme
si elle avait pleuré.
Elle s’étonna qu’il soit rentré si tôt. D’un ton sec.
Caillard se surprit lui-même.
– Il n’est pas venu, dit-il en prenant un air désolé pour
lequel il n’eut pas à se forcer. Je ne comprends pas. J’ai
poireauté jusqu’à vingt-deux heures trente devant la fontaine.
J’avais l’air con à attendre comme ça…
Elle le dévisagea d’une façon étrange.
– T’as dû être déçu, mon Minou ?
– Bah, il a dû avoir un contretemps. De toute façon, il
rappellera.
– Tu as l’air bizarre. T’es contrarié, hein ?
Il haussa les épaules et détourna son regard.
– Je suis surtout crevé.
Elle ravala un sanglot.
– Quand même, j’aurais bien voulu que ce soit réglé pour
nous deux. Qu’il sache…, dit-elle après un temps.
Alexandre Caillard ne comprit pas le sens de ses paroles.
Qu’est-ce qu’elle peut être chiante, pensa-t-il tout en ôtant sa
veste.
Alexandre Caillard eut du mal à trouver le sommeil.
La mort de Lestrade résolvait un problème, mais il ne se sentait
pas soulagé pour autant.
Le bruit mat du corps heurté par la cabine résonnait.
Désagréable. Incongru.
Et cette conne qui se lovait contre lui en croyant au grand
amour…
Il trouva enfin le sommeil en songeant qu’il faudrait qu’il s’en
débarrasse en douceur. Le plus vite possible. Dès cet été.
Comme ça, plus rien ne le rattacherait à Lestrade.
Mais tout foira dès le lendemain.
RTL en fit des tonnes sur le suicide du jeune activiste
anarchiste Jean Lestrade tout juste libéré de prison.
Et Dany se branchait sur RTL dès le réveil.
Et il fallait que ce con de reporter interviewe un poivrot qui
prétendait avoir vu quelqu’un pousser le jeune homme.
– C’est comme j’vous l’dis. Je somnolais sur le banc juste
à côté et j’ai bien vu ce que j’ai vu ! braillait le
clochard.
Ce fut l’hystérie.
Des larmes. Des cris. Puis des crises de spasmophilie
successives. Entrecoupées de longs sanglots ou de phases d’atonie
complète.
Il crut qu’elle allait virer dingue.
Il la gifla. Elle le griffa et le laboura de coups de pied et de
coups de poing.
Une vraie furie.
Avec un regard dément à vous en foutre la frousse.
Et « mon Jeannot » par-ci, « mon Jeannot »
par-là. Comme si elle en était encore amoureuse. De l’irrationalité
à l’état pur.
Puis, tout à coup, elle se précipita à nouveau sur lui et le
saisit à deux mains par le col de sa chemise en le secouant.
– Assassin ! C’est toi qui l’as tué !
hurla-t-elle en affermissant sa prise avec une force qu’il n’aurait
pu lui soupçonner et qui l’empêchait de dégoiser le moindre
mot.
Il ne parvint à s’en débarrasser qu’en lui donnant un coup de
genou dans le bas-ventre.
– T’es dingue, ou quoi ! brailla-t-il affolé et en lui
donnant des coups de pied.
Elle resta quelques minutes recroquevillée
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