Sur le quai
ensemble. Mais « on » ne
cherchait qu’à contrôler le groupe. Pas à le faire tomber.
– Plus tard, pourquoi pas ? disait mystérieusement
Cavalier tout en le félicitant de ses idées.
Alexandre Caillard se sentait alors son égal.
Il en oubliait qu’il était lui-même manipulé.
Puis mai 68 arriva.
Il s’éclata. Reçut pas mal de coups de matraque en jouant le jeu
sur les barricades. Fut parfois embarqué et baisa tout ce qu’il
put.
Pour lui, mai 68 fut une révélation sexuelle.
Il n’était pas le seul dans son cas.
Il entraîna Dany dans de folles soirées. Elle ne se fit pas
prier.
Il s’en foutait. Ça le libérait de son mariage.
Mais il ne sut jamais s’il était réellement le père de leur
fille qui naquit neuf mois après juin.
Dany et lui firent semblant.
De toute façon, il adora sa fille et le doute fut un prétexte
pour multiplier ses expériences.
Et Dany ne mouftait pas puisqu’elle en profitait de son
côté.
Ils se vivaient simplement comme un jeune couple moderne.
Dans le même temps, il joignait l’utile à l’agréable.
De copine en copine, il put aller de groupe en groupuscule et y
pêcher de multiples informations. Et rien ne vaut les relations de
baise dans ce domaine.
Un soir, il eut même la surprise de tomber sur une réunion de
groupe mao dont le secrétaire était François Cavalier.
Puis tout s’accéléra quand, jeune avocat, il devint au début des
années soixante-dix l’un des défenseurs attitrés des gauchistes.
Sous la pression, à présent « amicale », de François
Cavalier.
Plus spécialement des « terroristes ».
Une curieuse nébuleuse d’idéalistes et de provocateurs patentés,
qui excitait les convoitises manipulatrices de nombreux services
tant hexagonaux qu’étrangers dont c’est là la raison d’être.
D’abord dans la région toulousaine, chez les précurseurs
d’Action directe. Mais ça restait malgré tout du menu fretin.
Ils étaient du genre bricolos et pas très finauds.
Dès qu’il y en avait trois de réunis, on était sûr de trouver un
pur, un indic, un flic.
Faut dire que le « Service » y faisait défiler ses
nouvelles recrues pour les aguerrir à la manipulation et leur
donner une formation sur le tas. Ils appelaient ça
« l’immersion en milieu hostile ».
C’était peinard, en un sens. Il y avait de bons côtés. Avec de
bons plans.
C’était une époque où il était plus facile de baiser en se
présentant comme un « Che » en puissance qu’en sortant sa
carte barrée de tricolore.
Et ça jactait des nuits entières !
C’en était même parfois écœurant de facilité. Certaines recrues
du « Service » finirent par craquer et préférèrent
renoncer. Elles ne supportaient plus ce sale boulot de manipuler
des « innocents », alors qu’ils baisaient les mêmes
copines et se passaient le même joint.
– Ils sont trop cons ces révos. Ils sont dangereux que pour
eux-mêmes, disaient certains.
Lui-même fut soulagé de passer au stade supérieur – la pêche au
gros – quand son début de notoriété « révolutionnaire »
l’amena à fréquenter les milieux nationalistes basques et à
rencontrer de nombreux militants de l’ETA réfugiés en France dont
il devint le défenseur.
C’est fou ce qu’on peut faire confiance à son avocat !
Il ramenait à François Cavalier des informations qui valaient
leur pesant d’or. Et le « Service » savait être
reconnaissant envers ses serviteurs.
Plus tard, quand le gouvernement socialiste espagnol envoya ses
« escadrons de la mort » sur le territoire français pour
éliminer ces mêmes militants, il eut l’occasion de revoir l’ancien
commissaire franquiste José Perez. À présent sous-directeur d’un
service de police espagnol supervisant ces
« éliminations ».
La première fois qu’il le revit, ce fut au cours d’un voyage à
Madrid où il accompagnait François Cavalier.
Ils furent reçus somptueusement et Cavalier le chargea de
transmettre régulièrement à Perez les coordonnées en France des
militants réfugiés. Que lui-même, Alexandre Caillard, recueillait
grâce à ses multiples connaissances dans le milieu.
De temps à autre, l’« éliminé » était un de ses
clients.
Ce fut un grand moment de volupté dans sa vie.
Jamais le double jeu ne lui procura autant de plaisir et de
satisfaction morale.
Car il œuvrait au salut de la jeune démocratie espagnole.
Ironie du destin.
Le
Weitere Kostenlose Bücher