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Survivant d'Auschwitz

Survivant d'Auschwitz

Titel: Survivant d'Auschwitz Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thomas Gève
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aryenne ». Des dames très aristocratiques nous avaient invités à prendre une tasse d’ersatz et nous assurèrent que jamais l’honneur de l’Allemagne ne permettrait de tels dérapages : « Nous sommes une nation civilisée et n’accepterons pas de retomber au Moyen Âge ! Les gens descendront protester dans les rues. »
    En effet, lorsque les premières étoiles firent leur apparition, les uns en raillèrent l’idée, les autres, leurs porteurs. Puis s’ensuivit une période d’indifférence, marquée simplement par l’ennui d’être constamment rappelé à l’ordre par ce chiffon jaune, symbole de honte. Les sentiments profonds des gens, à la vue de l’étoile, ne nous importaient guère et nous ne la portions pas, dans la mesure où nous étions assurés de ne pas rencontrer ou de ne pas être reconnu par un quelconque mouchard. Sous la lumière violette des lampes au néon qui éclairaient les rues principales de Berlin, les étoiles devenaient bleues ; il devenait donc plus sûr de prendre les petites rues. En tout dernier recours, il restait l’inévitable porte-documents tenu serré contre soi, le bras gauche replié sur la poitrine. Les Juifs étaient également soumis à un couvre-feu, le soir, mais sa mise en pratique restait concrètement très difficile et nous avions décidé de l’ignorer.
    De nouvelles inscriptions firent leur apparition : « P » pour les Polonais, « Est » pour les Ukrainiens. Les panneaux interdisant l’entrée aux Juifs depuis maintenant dix ans furent retirés et remplacés par de nouvelles versions corrigées. Tout lieu public, du plus simple banc aux parcs municipaux, en passant par les cabines de téléphone et les cinémas, affichait l’interdiction d’accès à tout « non-Aryen ». Certains établissements trouvaient que cela ne suffisait pas et ajoutaient des noms d’oiseaux à la mode : « Accès strictement interdit aux chiens, aux Polonais et aux Juifs ».
    La fermeture des dernières écoles juives fut presque un soulagement pour nous. Nous n’allions plus devoir craindre d’être battus sur le chemin du retour à la maison parce que nous étions des enfants juifs. Les élèves venaient tous les jours moins nombreux à l’école, ce qui ne signifiait pas pour autant qu’ils faisaient l’école buissonnière, mais plutôt qu’ils avaient été arrêtés ou qu’ils se cachaient.
    Les adolescents avaient quatre possibilités de travail : aides soignants à l’hôpital, auxiliaires dans les cantines, trier les dossiers dans des bureaux ou faire des tâches de jardinage dans les cimetières. Je décidai de travailler pendant un an à l’entretien des tombes juives du cimetière de Weissensee . Le travail n’était pas rémunéré, mais cela était compensé par le fait que je bénéficiais en échange d’une carte de transport et que je pouvais être en plein air. La grande citadelle des morts, dont les mausolées de marbre côtoyaient les stèles en ruine, était habitée par un silence que seul venait troubler le bruit du vent dans les arbres. Elle était devenue notre paradis. Répartis en plusieurs groupes, nous étions chargés d’enlever les mauvaises herbes dans les allées, de nettoyer les parterres de fleurs et de planter du lierre. À l’automne, nous ramassions les feuilles, et en hiver nous enlevions la neige. C’était pour nous l’endroit idéal pour jouer « aux voleurs et aux gendarmes » ou à cache-cache, et nos poursuites dans cet immense cimetière comptèrent parmi nos meilleurs moments.
    En dehors des travaux de jardinage à proprement parler, j’appris des choses amusantes, comme conduire un tracteur, jouer aux cartes et embêter les filles. C’est ici que je fumai ma première cigarette et que, pour la première fois de ma vie, une fille tomba amoureuse de moi. Elle s’appelait Eva-Ruth Lohde.
    L’autre événement marquant était nos visites au foyer pour enfants handicapés mentaux juifs, qui se trouvait non loin. La plupart de ces petites virées secrètes étaient organisées par les plus âgés d’entre nous, qui lorgnaient les filles. Mon intérêt personnel se limitait à un solide gaillard de la campagne, un peu plus âgé que moi, qui aimait parler politique et qui, à ma grande surprise, en savait plus que bien des jeunes de son âge soi-disant « normaux ».
    Ma mère avait suivi des cours de couture et travaillait désormais à la maison pour une usine de confection, qui

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