Survivant d'Auschwitz
Maman de faire moins d’heures supplémentaires, de nous offrir un bon repas et même peut-être quelques distractions.
L’aube du dernier jour du mois de février sonna le glas de la communauté juive de Berlin. Tous les Juifs des communautés urbaines et rurales du pays avaient déjà été arrêtés, et cette action constituait l’assaut final contre les derniers Juifs d’Allemagne. Avec l’affluence importante de travailleurs « volontaires » venus d’Europe de l’Est, la production dans certaines branches de l’industrie de guerre était assurée et ôtait désormais toute raison de vouloir éviter l’arrestation à quiconque. La plupart des Juifs arrêtés avaient déjà été officiellement enregistrés comme ayant « déménagé » à Lublin, Riga ou Theresienstadt, des régions prétendues autonomes. Aujourd’hui, l’ultime opération consistait à boucler les rues et à rayer les derniers noms de ceux qui figuraient sur les listes parfaitement précises de la Gestapo. Il restait une toute petite marge de manœuvre pour y échapper en travaillant au fonctionnement de l’hôpital, dans les centres d’approvisionnement et dans les cimetières. Des renforts de SS et de camions furent envoyés à Berlin, pour participer à la plus grande vague d’arrestations organisée jusque-là. La planification et la direction des opérations furent confiées à des officiers autrichiens, tristement célèbres pour l’expérience acquise en ce domaine lorsqu’ils avaient conduit des actions similaires à celle-ci contre les Juifs de Vienne. La première et indiscutablement la plus brutale d’entre elles avait eu lieu en 1934, lors de la perquisition d’habitations ouvrières viennoises.
Nous n’en savions rien, mais la police, sous les instructions de la Gestapo, avait profité de la tension ambiante pour traquer les populations tsiganes de Berlin.
Les Tsiganes d’Allemagne – à la différence des Juifs, à qui tout ce qui arrivait était malheureusement la concrétisation des menaces proférées depuis dix ans – ne trouvèrent aucune explication à ce brutal coup de poignard dans le dos. Tout bien repensé, je trouvais bizarre ce moment choisi de déporter définitivement les Juifs et des Tsiganes hors d’Allemagne. Il tombait pratiquement jour pour jour dix ans après les terribles vagues d’arrestations des opposants de gauche, et j’imaginais les Juifs – dont le tour était venu – assister à un spectacle analogue lors de l’incendie du Reichstag le 1 er mars 1933.
De terribles coups furent frappés à la porte. Ma plus grande appréhension était en train de se réaliser. Nous n’avions aucun moyen de nous enfuir par l’escalier de service et nous attendîmes. Peut-être les coups allaient-il s’arrêter ? Alors que je refermais le couvercle de la poubelle, en faisant le plus de bruit possible, pour faire croire que nous étions en train de la descendre, Maman ouvrit finalement la porte. Les minutes qui suivirent furent une véritable agonie.
L’officier me hurla dessus, parce que nous n’avions pas fermé les fenêtres comme il le fallait. Ma première rencontre avec la SS vit pleuvoir en une seule fois plus de gifles sur moi que je n’en avais jamais reçu durant toute ma vie.
Nous leur donnâmes la clé, la porte fut scellée, et nous arrivâmes en trébuchant près du camion qui nous attendait, chacun de nous portant une lourde valise. « Heraus ! Schnell ! Schnell * 2 ! »
Une route fatigante à la recherche d’autres victimes nous attendait. Les vieilles personnes, pouvant à peine marcher et encore moins porter leurs valises, furent poussées sur le trottoir, puis brutalement jetées dans le camion. Des enfants passaient et leur crachaient dessus. D’autres passants nous regardaient fixement avec un mélange de surprise, de honte et de haine.
À travers une fente dans la bâche du camion, je regardai tout autour de nous et vis l’ampleur des dégâts des derniers bombardements de la nuit. La Prager Platz était bouclée. Des quartiers entiers étaient encore tout fumants, les entrailles grandes ouvertes. Les bombardements aériens avaient pris un tour très sérieux, mais cela n’empêchait évidemment pas les nazis d’aller jusqu’au bout de leurs actions non militaires, comme les arrestations. L’aigle fasciste n’était pas touché et restait puissante. Il avait juste les serres qui saignaient à l’est.
Le soir tombait lorsque notre
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