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Survivant d'Auschwitz

Survivant d'Auschwitz

Titel: Survivant d'Auschwitz Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thomas Gève
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nous dit le propriétaire, ce n’est tout de même pas de ma faute si la Gestapo a déporté tous les autres sous-locataires et a posé les scellés. Puisque c’est vous qui habitez ici tous les deux, c’est vous qui devez payer le loyer pour les cinq pièces de l’appartement. » Comme nous arrivions à peine à payer notre propre loyer, nous dûmes déménager. Le hasard, ou la chance, fit que ma camarade de travail, Eva-Ruth, qui habitait Konstanzer Strasse , put nous dépanner d’une chambre. Nous prîmes chacun deux valises et emménageâmes.
    Dans ce nouveau quartier situé près du sélect Kurfürstendamm , point de rencontre des Allemands bien placés et des fascistes étrangers, il n’y avait que des snobs élégants et bien nourris. Un ballet de voitures de luxe astiquées faisait la navette entre les salons de thé, les grands restaurants, les magasins de cigares, les instituts de beauté et les boutiques de fleurs aux espèces rares. En cet été 1943, à l’ouest de Berlin, on aurait presque oublié que c’était la guerre.
    *
     
    Quelque chose bougeait sur le tas d’ordures. Cela avait l’air d’être plus grand qu’un chien. Les filles qui travaillaient chez le fleuriste du cimetière nous dirent d’aller voir, et nous avançâmes de façon guerrière, en rang serré, munis d’un bâton, vers le mur de brique, où se trouvaient les déchets de cuisine. Un uniforme en loques, vert olive, se souleva au milieu de ce tas de puanteur et de pourriture. Il y avait un être humain dedans ! Il portait une casquette militaire et des sabots de bois à ses pieds nus. Lorsqu’il entendit des jurons qui le chassaient, il se retourna en direction de nos voix, cherchant d’où ils venaient. Tout à coup, l’un d’entre nous s’exclama : « Regardez ! Il a un grand signe noir “SU* 3 ” marqué sur le dos. C’est quoi ? » « Ça veut dire “Union soviétique” », nous expliqua l’un de nos copains, qui savait tout sur les derniers modèles de voitures et d’avions. « C’est le pays d’où viennent les sous-hommes. » Vu l’allure et le comportement du bonhomme, la description correspondait assez bien. Cependant, la Russie était l’alliée de l’Angleterre contre Hitler et nous décidâmes de rappeler le vagabond et de lui parler gentiment. Avec l’aide d’un copain de travail, qu’on était allé chercher en vitesse, nous écoutâmes prudemment les explications de l’intrus : lui soldat russki/ soldat kaputt/ lui travailler dur/ pas beaucoup manger/ lui fuir/ Russes fuir tués/ Allemands mauvais/ Juifs amis/ lui pas manger deux jours/ lui faim .
    Oui, maintenant on arrivait vraiment à se figurer ce gars costaud, dans toute la splendeur de son uniforme d’antan, marchant quelque part sur un champ de bataille de sa lointaine Russie contre l’ennemi commun. Il méritait notre sympathie, même si nous ne savions pas très bien ce qu’était exactement un sous-homme. En tout cas, il mangea des betteraves. Nous partîmes vite lui en chercher deux autres et lui souhaitâmes bonne chance. Puis il disparut comme il était venu. Nous essayâmes alors d’en savoir plus sur des gens comme lui.
    *
     
    Eva-Ruth, avec laquelle je travaillais et vivais, fut la première fille à faire battre mon cœur. Elle était plantureuse, tirant sur le roux, elle avait quatorze ans et visiblement en pinçait pour moi. « Non, n’entre pas, disait-elle souvent, je suis en peignoir ! Tu sais, on vit tous les deux dans le même appartement, alors fais pas l’idiot. » Elle continuait comme ça pendant quelques minutes sur le thème de sa tenue légère, et moi, naïf, j’attendais dehors. J’étais trop jeune pour comprendre ses allusions, et, pour seule récompense, j’avais droit à ses reproches sur ma lourdeur. Nous nous amusions tous les deux, étendus sur le canapé, mais nous n’étions pas faits pour nous entendre. Plus je vénérais son corps et plus je détestais sa façon de penser.
    Elle était très jolie fille, mais trop directe, et son assurance comme ses préjugés me dégoûtaient. Elle trouvait que mes copains ouvriers, qui n’étaient pas allemands de naissance, étaient indignes de la fréquenter et, de temps en temps, il lui arrivait même, lorsqu’elle se disputait violemment avec moi, de me traiter de « sale Juif de l’est ». Elle avait été éduquée, comme c’était le cas dans certaines familles juives allemandes, dans l’esprit de Deutschland

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