Survivant d'Auschwitz
über alles * 4 , alors que tout ce qui comptait était de s’adapter à la situation. Ce genre de grands airs, à la limite, chez quelqu’un d’éduqué et dans un environnement plus sûr et plus confortable, seraient peut-être passés, mais là c’était complètement hors contexte. Le style de vie qu’on avait connu en Allemagne s’effritait, et cela n’avait aucun sens d’essayer de se raccrocher au passé.
Un jour, un dimanche après-midi, nous reçûmes la visite d’un homme plutôt avenant, l’allure d’un bon commerçant, qui voulait parler à la mère d’Eva-Ruth. Doucement et de manière habile, il lui raconta son histoire. Lui-même était juif, mais il avait été choisi par la Gestapo pour sélectionner des candidats à la déportation. Il n’expliqua pas par quels moyens on l’avait convaincu d’accepter une telle mission. Les quelques Juifs qui restaient se méfiaient, et mettre en place une action à grande échelle ne valait de toute façon plus la peine. Aussi les nazis avaient-ils imaginé quelque chose de nouveau : les arrestations par le biais de la persuasion, avec un homme comme celui-ci, d’apparence banale, juif lui-même, venu faire cette besogne autour d’une tasse de thé.
La grippe m’avait empêché d’aller travailleur au cimetière depuis quelques jours. C’est donc lui qui m’apprit qu’il y avait eu une rafle, dont quelques copains seulement avaient pu réchapper en s’enfuyant pas la grille arrière. L’ordre d’arrestation d’Eva-Ruth était sur la table. Mon nom ne figurait pas encore sur la liste au crayon de notre visiteur, mais celui-ci fit appel à toute sa science pour nous expliquer qu’il le serait bientôt, car une action contre les quelques Juifs ou demi-Juifs – cachés ou pas – qui restaient, avait été décidée. « Mieux vaut mieux se porter volontaire, plutôt que d’attendre qu’on vienne frapper à votre porte, ce qui finira, de toutes les façons, par arriver », nous dit-il. Il ne parvint pas à nous convaincre et nous décidâmes de laisser les choses suivre leur cours.
Maman et moi restâmes deux jours dans cet appartement désormais vide, ruminant sur notre avenir. Aucune nouvelle ne laissait espérer une fin prochaine de la guerre et nous n’avions aucun moyen de trouver une cache sûre. Nos économies suffisaient à peine pour vivre un mois dans la clandestinité. Comme j’étais habitué à travailler dur, j’essayais de me persuader que les « camps de travail à l’est » ne pouvaient pas être si terribles que cela et que, en y mettant un peu du sien, on pourrait peut-être même arriver à se faire une vie acceptable. Enfin, nous continuions de vivre avec le secret espoir au fond de nous qu’une seconde fois encore je réussirais peut-être à nous faire libérer…
Nos quatre inséparables valises toujours avec nous, sillonnant de nouveau le nord de Berlin, après avoir remis notre étoile jaune exactement à l’angle de la rue où, trois mois plus tôt, nous l’avions enlevée… nous voici donc repartis, pour laisser pénétrer… deux volontaires dans le camp de rassemblement.
Cette fois, les détenus du camp de détention de la Gross Hamburger Strasse , le dernier de son genre, étaient différents. Bien qu’une douzaine de personnes s’entassassent dans une pièce avec presque rien à manger, il régnait une atmosphère d’espoir provocant.
Un groupe de jeunes sionistes transférés d’un camp agricole allemand de travailleurs forcés organisait tous les soirs des discussions, chantait des chansons de Palestine et dansait même la hora . Je ne sais pas comment ils faisaient pour avoir un tel enthousiasme, ni pour danser avec une telle technique. Un autre cercle de danse s’était formé autour d’un gros accordéoniste blond, à moitié juif, surnommé « Pudding », expert en cuisine et en claquettes. Les danses de ces hommes et femmes étaient aguichantes et avaient réussi à attirer quelques gardes parmi le public.
Quelques jolies filles, qui avaient eu une liaison avec des officiers, se trouvaient dans le pire discrédit qu’on eût pu imaginer. Mais pouvait-on vraiment leur reprocher – alors qu’elles étaient d’ascendance à la fois juive et chrétienne – d’avoir jeté leur dévolu sur des hommes qui étaient du même bord qu’une moitié d’elles-mêmes ? Ou d’avoir eu une coupable amitié, qui leur aurait peut-être valu la liberté ? Entre détenus mêmes, les
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