Taï-pan
Altesse ?
— Un trois-mâts.
— Je préfère les trois-mâts, je l’avoue. Beaucoup plus maniables en haute mer. Les voiles sont plus faciles pour prendre des ris. Vous portez des huniers et des perroquets ?
— Il me semble qu’il y a un nombre adéquat de voiles, monsieur Struan. Quant à leurs noms ! »
Struan avait remarqué l’imperceptible hésitation et il savait que Sergueyev était un marin. Allons bon, pensa-t-il, pourquoi diable veut-il cacher ça ?
« Il paraît que la crise du Moyen-Orient est résolue, dit le grand-duc.
— Oui, répondit Longstaff. La nouvelle est arrivée par la malle.
— C’est très heureux. La France a été très sage d’abandonner son attitude intransigeante.
— L’importance des Dardanelles pour la Grande-Bretagne est évidente. Nous avons tous intérêt à la paix.
— Quel dommage que la France et la Prusse semblent penser autrement ! Et aussi les Habsbourg. La Grande-Bretagne et la Russie sont des alliées héréditaires et leurs intérêts sont similaires. Je suis très heureux à la pensée que nous travaillerons plus étroitement à l’avenir.
— Oui, répondit paisiblement Longstaff. Mais Paris est plus près de Londres, naturellement.
— N’est-il pas navrant que cette radieuse et glorieuse cité se donne toujours les plus étranges dirigeants ? murmura Sergueyev. Un peuple magnifique. Et cependant, ses gouvernants sont toujours enflés de vanité et apparemment résolus à mettre le monde entier sens dessus dessous.
— Le grand problème du monde, Altesse. L’Europe, et comment brider ses princes. Naturellement, en Grande-Bretagne, nous avons la chance d’avoir un Parlement et la puissance anglaise ne part plus en guerre selon le caprice d’un seul homme.
— Oui. C’est une glorieuse expérience, bien faite pour votre pays, monsieur. Mais elle ne convient pas à toutes les nations. Ce sont, je crois, les Grecs qui sont venus à la conclusion que la forme de gouvernement la plus parfaite était une dictature bienveillante ? Le gouvernement d’un seul homme ?
— Bienveillante, oui. Mais élue. Pas de souverain de droit divin.
— Qui peut dire, avec une certitude absolue, que le droit divin n’existe pas ?
— Oh ! Altesse, nul ne conteste l’existence de Dieu. Seulement le droit pour un roi de faire ce qui lui plaît, quand il lui plaît, sans consulter le peuple. Nous avons eu une longue suite de rois anglais de droit divin qui étaient loin d’être infaillibles. La faillibilité chez les chefs est très éprouvante. N’est-ce pas ? Ils versent tant du sang des autres. »
Sergueyev eut la grâce de rire.
« J’adore l’humour anglais. Mais vous, monsieur, vous êtes écossais, je crois, dit-il à Struan.
— Sûr. Britannique. Il n’y a plus de différence entre les Écossais et les Anglais, aujourd’hui. Nous en avions assez de voler leur bétail. Nous avons pensé qu’il vaudrait mieux voler tout le pays et nous avons quitté l’Écosse pour nous installer dans le Sud. »
Ils rirent tous de bon cœur et burent encore du vin. Longstaff était amusé de voir que Monsey se taisait et paraissait médusé par la hardiesse de Struan.
« Qu’en pensez-vous, monsieur Struan ? demanda le grand-duc. Croyez-vous que vous pourriez diriger la Noble Maison avec un parlement ?
— Non, Altesse. Mais je ne puis engager qu’une compagnie dans une guerre – entre compagnies – et je ne risque que moi-même et mon affaire. Pas la vie des autres.
— Cependant, il y a une guerre en Chine, en ce moment. Parce que les mécréants ont eu la témérité de gêner votre commerce. N’est-ce pas exact ?
— En partie. Mais naturellement, je ne suis pas responsable de la guerre.
— Naturellement. Je voulais dire que vous êtes seul pour diriger une vaste entreprise et que c’est là la manière la plus efficace. La main d’un seul homme. Ce qui est bon pour une compagnie l’est pour une flotte, et une nation.
— Sûr. À condition de réussir, plaisanta Struan, puis il reprit son sérieux. Peut-être, pour le moment, un système parlementaire n’est-il pas souhaitable pour la Russie, et quelques autres pays, mais je suis convaincu que cette terre ne connaîtra jamais la paix tant que toutes les nations n’auront pas adopté le système parlementaire anglais, tant que tous les peuples n’auront pas le droit de vote, tant qu’un homme seul sera le maître de la destinée d’une
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