Taï-pan
estimé de la Russie, Sir Robert. C’est une très heureuse coïncidence.
— En effet. Et comment va le prince votre père ? demanda Longstaff, à tout hasard.
— Il se porte fort bien, je suis ravi de le dire. Et le vôtre ?
— Il est mort il y a quelques années.
— Oh ! vous m’en voyez désolé. Mais votre mère, Lady Longstaff ?
— En parfaite santé, grâce à Dieu. »
Struan examinait le Russe. Sergueyev était un homme de haute taille, richement vêtu. Il avait de larges épaules et les hanches étroites. Ses hautes pommettes et ses yeux bleus étrangement bridés lui donnaient un air exotique. L’épée de parade, sous l’habit ouvert, semblait faire partie de sa personne. Au cou, sous la cravate blanche éblouissante, il portait une discrète décoration sur un mince ruban écarlate. Ce n’est pas un homme à qui il serait bon de chercher querelle, se dit Struan. Je parie que c’est un diable à l’épée et un démon quand son honneur est en jeu.
« Puis-je me permettre de présenter M. Dirk Struan ? » dit Longstaff, en anglais.
Le grand-duc tendit la main, sourit et dit en anglais avec une ombre d’accent :
« Ah ! monsieur Struan, c’est un plaisir pour moi. » Struan serra la main tendue et fit connaissance avec une poigne d’acier.
« Vous me surprenez à mon désavantage, Altesse, dit-il avec un manque de diplomatie voulu. J’ai la très nette impression que vous savez beaucoup de choses sur moi, et je ne sais rien de vous. »
Sergueyev lui répondit en riant :
« Le Taï-pan de la Noble Maison jouit d’une réputation qui arrive jusqu’à Saint-Pétersbourg. J’espérais avoir le plaisir de vous rencontrer. Et je serais heureux de causer avec vous et de vous parler de moi, si cela peut vous intéresser. »
La porte s’ouvrit et un steward entra avec des verres et du champagne à la glace. Il servit le Russe, puis Longstaff, Struan et Monsey.
« À votre bonne traversée de retour », dit Longstaff.
Ils burent.
« Excellent champagne, Excellence. Parfait.
— Asseyez-vous, je vous en prie. »
Le déjeuner fut servi selon toutes les règles du protocole. Sergueyev était à la droite de Longstaff, Struan à sa gauche. Les stewards apportèrent des saucisses fumées et des huîtres, des jambons du Yorkshire, un émincé de bœuf odorant, un gigot rôti, des pommes de terre bouillies et du chou aux cornichons.
« Je suis navré de ne pas avoir de caviar, dit Longstaff.
— Je me ferai un plaisir de vous en faire porter, Excellence, dès l’arrivée de mon navire. Nous avons eu la malchance d’essuyer du gros temps dans le détroit de la Sonde. Une avarie à notre navire nous a contraints de nous réfugier dans votre port de Singapour. La malle des Indes partait par la même marée et j’ai pu y trouver une place. »
Évitant ainsi de nous prévenir à l’avance, pensa Longstaff. La Sonde, c’était donc un voyage par le cap de Bonne-Espérance. Quelle diablerie y avait-il là ?
« Il paraît que le climat de Singapour est désagréable, à cette époque de l’année, monsieur Struan, dit le Russe.
— Oui, certes. C’est votre premier voyage en Asie, Altesse ?
— Oui.
— Eh bien, nous allons peut-être vous rendre votre séjour plus plaisant. Je donne un bal, ce soir. Vous me feriez grand honneur en y assistant. Cela vous donnera l’occasion de faire la connaissance de tout le monde.
— Vous êtes trop aimable.
— Combien de temps pensez-vous rester ?
— Jusqu’à l’arrivée de mon navire. Je vais faire une visite officieuse dans nos possessions d’Alaska.
— Vos avaries sont-elles graves ?
— Je ne saurais vous dire, monsieur Struan. Je n’ai pas l’expérience de ces choses. Il me rejoindra dès que possible.
— Alors, vous allez devoir vous loger, dit Struan, soupçonnant Sergueyev d’avoir une grande expérience de “ces choses” et l’intention de faire durer selon son bon plaisir la réparation des “avaries”. Nous serons heureux de vous offrir un appartement à bord d’un de nos navires stationnaires. Ce ne sera pas luxueux, mais nous nous efforcerons de le rendre confortable.
— Vous êtes vraiment d’une gentillesse ! Je suis seul avec quatre domestiques. Ils peuvent dormir n’importe où.
— Je veillerai à les bien accommoder. Ah ! merci, dit Struan au steward qui remplissait son verre, et il poursuivit : C’est un brick de quatre-mâts que vous avez,
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