Taï-pan
l’Empire ottoman et la France, ouvertement, l’avait soutenu avec joie contre le sultan. Mais un allié français sur les Dardanelles menaçait les intérêts des autres Grandes Puissances et toute l’Europe promettait d’être immédiatement entraînée dans une nouvelle guerre.
Lord Cunnington, le ministre des Affaires étrangères britannique, avait persuadé les Grandes Puissances – autres que la France et sans la consulter – d’user de leur influence sur le sultan, contre Méhémet Ali. Furieuse, la France avait menacé de déclencher la guerre. Les conditions proposées étaient que Méhémet Ali retournât en Égypte, qu’on lui offrît la suzeraineté sur la Syrie sa vie durant, qu’il fût reconnu souverain indépendant d’Égypte, qu’il payât un tribut annuel au sultan de Turquie, que, ce qui était plus important, l’ancien statut des Dardanelles fût garanti une fois pour toutes par les Grandes Puissances et que, tant que la Turquie serait en paix, le détroit fût interdit à tous les bâtiments de guerre de toutes les nations.
L’acceptation de ces conditions par la France et le retrait de son allié égyptien feraient affluer l’or dans les coffres de la Noble Maison. Maintenant, les dispositions financières complexes sur lesquelles Struan et Robb misaient depuis deux ans allaient être cimentées. Leur puissance commerciale étendrait ses tentacules financiers jusqu’au cœur des Grandes Puissances, leur donnant ainsi l’assurance de supporter des crises internationales continues et d’ouvrir d’importants comptoirs de thé et de soie. De plus, si les intérêts britanniques dominaient dans l’Empire ottoman, peut-être sa production d’opium serait arrêtée. Privées de l’opium turc pour équilibrer leurs versements en argent, les compagnies américaines seraient obligées d’augmenter leurs échanges avec la Grande-Bretagne et les liens plus étroits désirés par Struan se noueraient avec l’Amérique. Sûr, se dit joyeusement Struan, c’est une bonne journée. Il était stupéfait que Longstaff eût reçu les nouvelles officielles avant lui ; les informateurs qu’avait Struan au Parlement le prévenaient généralement bien à l’avance d’événements comme celui-ci.
« C’est excellent, dit-il.
— Nous allons maintenant connaître une longue paix. Tant que la France ne cherche pas à jouer encore un de ses tours.
— Ou l’Autriche-Hongrie. Ou la Prusse. Ou la Russie.
— Oui. Ce qui nous ramène à Sergueyev. Pourquoi un Russe très important vient-il en Asie, justement maintenant ? Et comment se fait-il que nous n’ayons pas été prévenus officiellement ou officieusement, hé ? Alors que nous sommes maîtres de toutes les routes maritimes à l’est de l’Afrique ?
— Peut-être va-t-il simplement faire une visite officielle en Alaska russe, et qu’il est arrivé par le cap de Bonne-Espérance !
— Je vous parie cent guinées que c’est ce qu’il va nous dire ! s’exclama Longstaff. Sergueyev est un nom important, à Saint-Pétersbourg. J’y ai vécu cinq ans lorsque j’étais enfant ; mon père était diplomate à la cour du tsar. Des tyrans, tous tant qu’ils sont. Le tsar actuel, Nicolas I er , est caractéristique.
— Sergueyev est important en quel sens ? demanda Struan, surpris de ne jamais avoir entendu Longstaff parler de Saint-Pétersbourg, depuis des années qu’il le connaissait.
— De très grands propriétaires terriens. Parents du tsar. Ils “possèdent” des dizaines de milliers de serfs et des centaines de villages, si j’ai bonne mémoire. Je me rappelle avoir entendu mon père dire que le prince Sergueyev, ce doit être la même famille, était un intime du tsar et l’un des hommes les plus puissants de Russie. Curieux d’en trouver un ici, quoi ?
— Vous croyez que la Russie va venir se mêler des affaires d’Asie ?
— Je dirais que cet homme est trop commode pour être une coïncidence. Maintenant que le statu quo est restauré au Moyen-Orient, et la question des Dardanelles réglée, voilà le grand-duc qui surgit !
— Vous croyez qu’il y a un rapport ? »
Longstaff se mit à rire doucement.
« Ma foi, l’accord au Moyen-Orient arrête très proprement l’avance de la Russie à l’ouest, mais elle peut se permettre d’attendre. La France meurt d’envie de se battre et la Prusse aussi. Metternich, ce démon austro-hongrois, a du mal à gouverner les possessions
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