Taï-pan
la fumée et une lueur rouge au-dessus des toits de Canton.
« De la folie, de piller comme ça. Ce n’est jamais arrivé. Pourquoi ont-ils voulu faire ça ? Pourquoi ? murmura Longstaff.
— Sais pas.
— Dès que nous serons à Hong Kong, nous partirons pour le Nord et cette fois, nous irons jusqu’aux portes de Pékin, mordieu ! L’empereur va beaucoup regretter d’avoir ordonné ça.
— Sûr. Mais d’abord, organisez une attaque immédiate sur Canton.
— Mais ce serait une perte de temps, non ?
— Lancez l’attaque avant la fin de la semaine. Vous n’aurez pas à aller jusqu’au bout. Rançonnez Canton une fois de plus. Six millions de taels.
— Pourquoi ?
— Vous avez besoin de plus d’un mois pour préparer la flotte à frapper au nord. Les conditions atmosphériques ne sont pas encore bonnes. Il vous faudra attendre l’arrivée de renforts. Ils doivent arriver quand ?
— Un mois, six semaines.
— Bien. En attendant, dit Struan d’une voix dure, le Co-hong devra trouver six millions de taels. Ça leur apprendra à ne pas nous prévenir, bon Dieu ! Vous devez brandir le drapeau ici, avant d’aller au nord, sinon nous perdons la face. S’ils brûlent impunément la Concession, nous n’aurons plus aucune sécurité à l’avenir. Ordonnez au Némésis de bloquer la ville. Un ultimatum de douze heures, après vous ravagez Canton. »
Sergueyev gémit et Struan courut à lui. Le Russe était encore pratiquement inconscient.
Struan remarqua alors le converti de Mauss qui l’observait. Le Chinois se tenait sur le pont principal, contre le plat-bord tribord. Il fit le signe de la croix sur Struan, ferma les yeux et se mit à prier en silence.
27
S TRUAN sauta du canot sur la nouvelle jetée de Queen’s Town et la suivit en courant vers le grand bâtiment de trois étages presque terminé. Il traînait un peu la jambe, sous le soleil écrasant. Le Lion et le Dragon flottaient en haut du mât.
Il remarqua que de nombreuses constructions et maisons étaient achevées dans la Vallée Heureuse et qu’on avait commencé à bâtir l’église sur la colline ; de l’autre côté de la baie, la jetée de Brock était finie et le comptoir presque prêt. D’autres immeubles disparaissaient encore sous les échafaudages de bambou. Queen’s Road était pavée.
Mais il y avait très peu de coolies au travail, bien que l’après-midi fût loin d’être fini. La journée était chaude et humide ; un agréable vent d’est commençait à souffler légèrement sur la vallée.
Il entra dans le grand vestibule. Un employé portugais leva les yeux et sursauta.
« Madre de Deus , monsieur Struan ! Nous ne vous attendions pas. Bonjour, senhor.
— Où est M. Robb ?
— Là-haut, senhor, mais il… »
Déjà Struan courait dans l’escalier. Au premier étage, un large couloir en croix traversait l’immeuble d’est en ouest et du nord au sud. De nombreuses fenêtres donnaient sur la mer et la terre. La flotte était là, silencieuse. Le lorcha de Struan était le premier à revenir de Canton.
Il tourna à droite et passa devant la future salle à manger et ses pas réveillèrent des échos en frappant les dalles sans tapis. Il toqua à une porte et la poussa immédiatement.
La porte était celle d’un vaste appartement, encore incomplètement meublé : un sol dallé, des chaises et des fauteuils, des sofas, des tableaux de Quance, de riches tapis, une cheminée vide. Sarah était assise devant une fenêtre, un éventail de bambou à la main. Elle le regardait fixement.
« Bonjour, Sarah.
— Bonjour, Dirk.
— Comment va Karen ?
— Karen est morte. »
Les yeux bleus de Sarah restaient fixes et sa figure était rouge et luisante de sueur. Elle avait vieilli de dix ans et ses cheveux étaient striés de gris.
« Je suis navré, murmura-t-il. Navré. »
Sarah s’éventa distraitement. Le déplacement d’air fit tomber une mèche sur son front, mais elle ne la releva pas.
« Quand ? demanda Struan.
— Il y a trois jours. Ou deux. Je ne sais pas », répondit-elle d’une voix morne.
L’éventail battait, régulièrement, comme animé d’une vie propre.
« Et le bébé ?
— Vivant. Lochlin est vivant. »
Struan essuya une goutte de sueur qui coulait de son menton.
« Nous sommes les premiers à rentrer de Canton. Ils ont incendié la Concession. Nous avons reçu la lettre de Robb juste avant notre départ. Je viens
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