Taï-pan
entre ses doigts. Ses domestiques se lamentaient bruyamment et tremblaient de terreur. Struan les écarta sans ménagements et ouvrit le pantalon du grand-duc. Il coupa le tissu de la jambe droite et découvrit la blessure. La balle de mousquet avait creusé un profond sillon sur le ventre, en oblique et à une ligne du sexe, puis avait traversé la cuisse droite. Le sang coulait mais ne jaillissait pas par à-coups. Struan remercia le Ciel que la balle n’ait pas transpercé le ventre ni tranché une artère. Il retourna Sergueyev, qui laissa échapper un gémissement. La partie postérieure de la cuisse était sanglante et déchiquetée, là où la balle était sortie. Délicatement, Struan sonda la blessure et put en extraire un petit morceau d’os brisé.
« Des couvertures, du cognac et un brasero, ordonna-t-il à un matelot. Altesse, pouvez-vous remuer la jambe droite ? »
Sergueyev bougea légèrement et grimaça de douleur mais sa jambe obéit.
« Votre hanche n’a rien, Dieu soit loué, mon gars. Et maintenant, bougez plus. »
Quand on apporta les couvertures, Struan enveloppa soigneusement le blessé et l’accota plus confortablement contre le bac de l’homme de barre, puis il lui fit boire du cognac.
On apporta le brasero. Struan découvrit la blessure et l’arrosa généreusement de cognac. Il chauffa ensuite sa lame de couteau sur les charbons ardents.
« Tenez-le, Will. Culum, donne-nous un coup de main. »
Ils s’agenouillèrent, Longstaff aux pieds, Culum à la tête.
Struan appliqua le couteau rougi sur la plaie de devant et le cognac s’enflamma. Sergueyev s’évanouit. Struan cautérisa la plaie, en sondant rapidement, avec précision, profitant de l’inconscience du grand-duc. Il le retourna ensuite et sonda de nouveau. Une odeur de chair grillée monta. Longstaff se détourna et vomit, mais tint bon et Longstaff reprit courage.
Struan fit de nouveau chauffer le couteau, versa du cognac dans la plaie postérieure et la cautérisa avec soin. La puanteur lui faisait mal à la tête, et il ruisselait de sueur, mais ses mains ne tremblaient pas et il savait que s’il ne cautérisait pas complètement la blessure, elle s’infecterait et Sergueyev mourrait certainement. Neuf hommes sur dix mourraient d’une telle blessure.
Enfin, il eut fini.
Il pansa le blessé, et se rinça la bouche au cognac ; les vapeurs de l’alcool chassèrent l’odeur du sang et de la chair grillée. Il but une bonne rasade, en examinant Sergueyev. La figure était exsangue.
« Maintenant, il est entre les mains de son joss, dit-il. Ça va, Culum ?
— Oui… Oui, je crois.
— Descends. Fais distribuer du rhum chaud à l’équipage. Vérifie les provisions. Tu es maintenant le second du bord. Occupe-toi de tout. »
Culum les quitta.
Les deux domestiques russes étaient à genoux à côté de Sergueyev. L’un d’eux effleura le bras de Struan et lui parla d’une voix brisée, manifestement pour le remercier. Struan leur fit signe de rester auprès de leur maître.
Il s’étira, posa une main sur l’épaule de Longstaff et l’entraîna à l’écart.
« Avez-vous vu des mousquets parmi les Chinois ? lui demanda-t-il à l’oreille.
— Aucun.
— Moi non plus.
— On tirait de tous les côtés, murmura Longstaff, visiblement très inquiet. Un accident déplorable. »
Struan resta un moment silencieux.
« S’il meurt, ça va faire des histoires terribles, hé ?
— Espérons qu’il s’en tirera, Dirk. Il faudra que je prévienne immédiatement les Affaires étrangères. Je vais devoir faire une enquête.
— Sûr. »
Longstaff se mordit la lèvre, et se retourna vers le blessé. Sergueyev respirait à peine.
« Plutôt irritant, quoi ?
— À en juger par la direction de la blessure, et par l’endroit où il se tenait quand il est tombé, il n’y a pas le moindre doute. C’est une de nos balles.
— C’est un de ces accidents regrettables.
— Sûr. Mais on peut avoir visé.
— Impossible ! Qui voudrait le tuer ?
— Qui voudrait vous tuer ? Ou Culum ? Moi, peut-être ? Nous étions tous groupés.
— Qui ?
— J’ai des dizaines d’ennemis.
— Brock ne vous assassinerait pas de sang-froid.
— Je n’ai jamais dit ça. Offrez une prime pour tous renseignements. Quelqu’un doit avoir vu quelque chose. »
Ils contemplèrent tous deux la Concession. Elle était maintenant loin, sur l’arrière ; on ne voyait plus que de
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