Taï-pan
d’arriver.
— J’ai vu votre canot accoster.
— Où est Robb ? »
Elle montra une porte, avec son éventail, et il remarqua la fragilité de son poignet veiné de bleu.
Struan entra dans la chambre. La pièce était vaste et c’était lui qui avait dessiné le grand lit à colonnes copié du sien.
Robb était couché, les yeux fermés, la figure hâve, grisâtre sur l’oreiller trempé de sueur.
« Robb ? »
Mais les paupières ne se soulevèrent pas et les lèvres restèrent entrouvertes. Le cœur de Struan se serra atrocement. Il s’approcha, tendit une main vers la joue de son frère. Froide. Mortellement froide.
Dehors, un chien aboya et une mouche bourdonna contre la fenêtre.
Struan sortit de la chambre et ferma la porte sans bruit. Sarah n’avait pas bougé. L’éventail battait lentement.
Il lui en voulut à mort de ne pas l’avoir prévenu.
« Robb est mort il y a une heure, murmura-t-elle de sa voix sans timbre. Deux ou trois heures, ou une heure. Je ne me souviens plus. Avant de mourir, il m’a donné un message pour vous. C’était ce matin, je crois. Ou dans la nuit. Je crois que c’était ce matin. Robb a dit : “Tu diras à Dirk que je n’ai jamais voulu être Taï-pan.”
— Je prendrai les dispositions nécessaires, Sarah. Il vaudrait mieux que vous vous installiez avec les petits à bord du Resting Cloud .
— Je lui ai fermé les yeux. Et j’ai fermé les yeux de Karen. Qui fermera vos yeux, Taï-pan ? Qui fermera les miens ? »
Il prit les dispositions indispensables, puis il gravit la petite éminence de sa propre maison. Il songeait au jour où Robb était arrivé à Macao, si plein d’enthousiasme, à ce qu’il avait dit, avec un merveilleux sourire : « Dirk ! Tous nos ennuis sont finis, me voilà ! Nous écraserons la Compagnie des Indes et nous anéantirons Brock. Nous serons comme des seigneurs et nous commencerons une dynastie qui régnera éternellement sur l’Asie ! Il y a une fille que je vais épouser ! Sarah Mac Glenn. Elle a quinze ans. Nous sommes fiancés et nous nous marierons dans deux ans ! »
Dis-moi, Dieu, demanda Struan, qu’avons-nous fait de mal ? Quand, comment avons-nous mal agi ? Pourquoi les êtres changent-ils ? Comment les querelles, la violence, la haine et la souffrance peuvent-elles naître de la douceur, de la jeunesse, de la tendresse et de l’amour ? Et pourquoi ? Parce qu’il en est toujours ainsi. Avec Sarah. Avec Ronalda. Et il en sera de même pour Tess et Culum. Pourquoi ?
Il était devant la porte, dans le grand mur qui entourait la maison. Il la poussa. Tout était paisible, silencieux, d’un calme menaçant. Le mot « malaria » explosa dans sa tête.
Un vent léger courbait les bambous. Le jardin était beau, maintenant, avec des fleurs, des buissons, des abeilles qui butinaient.
Il gravit les quelques marches et poussa la porte de la maison, mais il n’entra pas tout de suite. Du seuil, il tendit l’oreille. Aucun rire léger ne l’accueillait, nul bavardage chantant des domestiques chinois. La maison paraissait abandonnée.
Il consulta le baromètre. Beau fixe.
Lentement, il suivit le couloir et respira l’odeur des bâtonnets d’encens. Il remarqua de la poussière alors qu’il n’y en avait généralement jamais.
Il ouvrit la porte de la chambre de May-may. Le lit était fait, et la pièce anormalement bien rangée.
La chambre des enfants était vide. Pas de petits lits, ni de jouets.
Il aperçut alors May-may par la fenêtre. Elle arrivait du fond du jardin avec des fleurs dans les bras, à l’ombre d’un parasol orange.
Il se précipita et elle se jeta dans ses bras.
« Sangdieu, Taï-pan, tu écrases mes fleurs ! Et d’où tu viens, heya ? Taï-pan, tu me fais mal à serrer comme ça ! Ouf ! Pourquoi faire tu as la drôle de figure ? »
Il la souleva et s’assit sur le banc, au soleil. Elle se pelotonna sur ses genoux, contre son épaule, réchauffée par sa force et par le soulagement qu’il manifestait en la voyant. Elle lui sourit.
« Ainsi. Je t’ai manqué fantastical, heya ?
— Oui, tu m’as manqué fantastical, heya.
— Bon. Pourquoi faire toi malheureux ? Et pourquoi, quand je te vois, tu es comme un fantôme ?
— Des ennuis, May-may. Et j’ai cru que je t’avais perdue. Où sont les enfants ?
— À Macao. Je les ai envoyés chez Chen Sheng aux bons soins de Sœur Aînée. Quand la maladie de la fièvre a commencé,
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