Taï-pan
chez Mrs. Fotheringill en quittant Skinner, c’était pour voir Quance.
« Non ! s’écria Yin-hsi. Nous avons terriblement perdu la face ! C’est affreux ! Je dois répugner à Père. Peut-être ferais-tu mieux de me vendre à un fossoyeur.
— Fi ! Si j’étais bien valide, je lui ferais quelque chose ! Ne t’inquiète pas, Yin-hsi. Il ne t’a même pas encore vue. Je te le répète. C’est un barbare. Ce dégoûtant, qui va au bordel alors que tu es ici, et même Ah Sam !
— Je suis bien d’accord. Oh ! le vilain homme !
— Ils sont tous mauvais, ma chérie. J’espère qu’il sera si fatigué qu’il ne te chassera pas comme je m’y attends. Dors dans son lit, c’est tout. Avec Père, il faut faire les choses patiemment. Même à son âge, il est encore très intimidé par les choses de l’amour.
— Est-ce qu’il sait que je ne suis pas vierge ?
— Il est bien trop jeune pour avoir besoin d’une vierge pour l’exciter, et bien trop vieux pour avoir la patience d’enseigner l’amour à une vierge. Tu n’as qu’à lui dire “Suprême Dame m’envoie” ».
Yin-hsi répéta encore une fois la phrase anglaise.
« Tu es très jolie, Petite Sœur. Laisse-moi, maintenant. Dans une heure, va le retrouver. »
May-may ferma les yeux et s’installa confortablement pour dormir.
Yin-hsi contemplait Struan. Un bras levé autour de la tête, il dormait profondément. Les rideaux soigneusement tirés sur des hublots préservaient du petit matin. Tout était calme.
Yin-hsi ôta son pyjama et se glissa timidement entre les draps, à côté de lui.
La chaleur du lit l’excita.
Retenant son souffle, elle attendit, mais il ne se réveilla pas. Elle se rapprocha, posa doucement une main sur son bras et attendit. Il ne bougeait toujours pas. Elle se rapprocha plus près encore, jeta un bras en travers de sa poitrine et resta ainsi. Et elle attendit.
Il s’agita un peu, dans son sommeil, et se réveilla à demi pour sentir le corps tiède et doux à côté de lui, contre lui. Sa main s’égara, se referma sur un sein et il sentit un frisson les parcourir tous les deux.
Dans la pénombre de la chambre, il hésitait au bord du sommeil. Le sein était doux, dans sa main.
Il ouvrit enfin les yeux.
Yin-hsi sourit en baissant les yeux.
Struan se souleva sur un coude.
« Sangdieu ! Qu’est-ce que tu fais là ? »
Yin-hsi cligna des yeux, sans comprendre.
« Sup-rême Dame m’en-voie.
— Hein ? grogna Struan en s’efforçant de s’éclaircir les idées.
— Suprême Dame m’envoie, Taï-pan.
— Hein ? May-may ? Elle est complètement folle ? Allez, ouste, dehors », cria-t-il en montrant la porte.
Yin-hsi hocha la tête.
« Suprême Dame m’envoie.
— Je me fous que ce soit la reine d’Angleterre qui t’envoie, bon Dieu ! Dehors ! »
Yin-hsi fit la moue.
« Suprême Dame m’envoie », répéta-t-elle en posant résolument sa tête sur l’oreiller.
Struan éclata de rire.
Yin-hsi était stupéfaite. Ma parole, Suprême Dame avait raison. Les barbares sont ahurissants. Mais je ne bouge pas de ce lit ! Comment oses-tu aller dans une maison à filles et me faire perdre la face devant Tai-tai ? Est-ce que je suis une vieille horreur laide et ridée ? Oh ! non, Taï-pan. Je ne bouge pas ! Je suis très jolie et je suis Seconde Sœur et Seconde Dame dans ta maison et c’est comme ça !
« Par tous les dieux, s’écria Struan en se ressaisissant. Je m’en vais épouser May-may si c’est la dernière chose que je fais ! Et au diable tout le monde ! »
Il se rallongea et sourit à la pensée de ce que May-may et lui feraient, en Angleterre. Elle sera la coqueluche de Londres… tant qu’elle ne s’habillera pas à l’européenne. Maintenant, il faut que je rentre vite. Je pourrai peut-être abattre moi-même le ministre des Affaires étrangères ! Ou bloquer Whalen ! Sûr. Maintenant, la clef de Hong Kong est à Londres. Alors, je rentre – le plus tôt sera le mieux.
Il tourna la tête sur l’oreiller et regarda Yin-hsi, et la vit réellement pour la première fois. Elle était extrêmement désirable. Son parfum était exquis, sa peau délicate…
« Ah ! fillette, je suis bien tenté », murmura-t-il.
Elle se rapprocha plus près encore.
45
L E White Witch se traîna dans la rade juste avant midi. Son mât de misaine avait été emporté et un enchevêtrement d’espars, de voiles déchirées et de haubans
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