Talleyrand, les beautés du diable
gâcher la cérémonie, il se serait cru revenu au bon vieux temps du sacre de l’Empereur.
Après les fastes du service funèbre, sa mise en souffrance de trois mois dans le caveau humide de l’église de l’Assomption, en attendant son transfert dans la crypte de la petite chapelle Saint-Maurice-de-Valençay, ne sera pas une franche partie de plaisir.
Mais il lui suffisait de prendre son mal en patience...
Et c’était un domaine dans lequel il excellait puisqu’il avait toujours vécu sans trépidations.
Septembre arriva, le tombeau de marbre noir était prêt.
En route pour le Berry !
On chargea son lourd cercueil sur un caisson d’artillerie. Le voyage allait durer trois jours et deux nuits.
— Par quelle porte faut-il sortir de Paris ? demanda le postillon au bedeau de l’église de l’Assomption.
— Barrière d’enfer, lui répondit-il.
Voilà le genre de mot qui ne peut que réjouir le défunt qui est maintenant confortablement installé, là-haut, sur les parvis sacrés où le temps terrestre est aboli :
— Comme c’est étrange, s’amuse aussi Charles Maurice, le fourgon mortuaire dans lequel on me transporte est celui qui a servi l’an dernier à ramener d’Arenenberg la dépouille de la reine Hortense !
Hortense, la reine de Hollande qui avait fougueusement aimé son fils, Charles de Flahaut, et qui lui avait donné un petit-fils en la personne du duc de Morny.
Il observe encore que le 5 septembre, après une interminable messe célébrée dans l’église paroissiale, on le descendit enfin dans sa crypte, en compagnie de son frère Archambaud et d’une petite nièce, Yolande de Périgord, morte à trois ans.
Archambaud qui ne boitait pas, lui, et qui l’avait dépossédé de ses droits d’aînesse !
Et c’était d’ailleurs avec cette humiliation que tout avait commencé...
Il y a une présence amie, au fond de la crypte de Valençay, elle est celle de sa chère comtesse Tyszkiewicz qu’il avait tenu à inhumer, là, dans ses terres, quelques mois plus tôt, parce que en Pologne ils avaient été amants et parce que depuis ils étaient restés amis.
Maintenant Charles Maurice se penche encore un peu plus par-dessus la balustrade de l’habitacle du Très-Haut et il dresse l’oreille.
— Il me semble bien que l’on parle de moi dans le bas monde, écoutons plutôt... Ah oui ! ici je reconnais ce vieux filou de Pozzo di Borgo, et que dit-il cet affidé des tsars ?
L’homme qui avait tant détesté Napoléon était précisément en train de raconter cette histoire qui a longtemps fait le tour de Paris : il était question de l’arrivée de Talleyrand aux enfers et des grands honneurs que lui avait rendus Satan non sans lui avoir fait remarquer :
— Prince, vous avez dépassé mes instructions !
À droite, là-bas, c’est Alfred de Vigny qui se croit drôle en annonçant :
— Il n’y a en France qu’un malhonnête homme de moins.
Et puis voilà Hugo, Victor de son prénom, qui claironne :
— C’était un personnage étrange, redouté et considérable, il s’appelait Charles Maurice de Périgord. Il était noble comme Machiavel, prêtre comme Gondi, défroqué comme Fouché, spirituel comme Voltaire et boiteux comme le diable...
Il y a le cher Adolphe Thiers qui ne semble pas avoir supporté sa rétractation :
— Le prince de Talleyrand a gâté toute sa vie par cette capucinade, dit-il.
— Oui, après avoir roulé tout le monde, il a fini par rouler le bon Dieu, ajoute monsieur de Blancmaison.
— C’était un paquet de flanelle enveloppé d’un habit bleu et surmonté d’une tête de mort recouverte de parchemin, raconte Mérimée vidant sa bile. Il avait de l’esprit, soit, mais l’esprit ne dame jamais le pion au bon sens.
— Ce prince ne fut manchot que de pied, s’insurge Balzac. Je le regarde, moi, comme un politique de génie dont le nom grandira dans l’Histoire.
— Il paraît qu’il laisse une fortune considérable ? demande un autre.
— Rien d’étonnant puisqu’il a vendu tous ceux qui l’ont acheté.
Sa fortune ? Il avait fait de Dorothée sa légataire universelle. Soit, il ne s’attendait peut-être pas qu’elle vendît son hôtel de la rue Saint-Florentin un mois après sa mort, mais l’évêque qui sommeillait en lui était tout disposé à lui donner l’absolution. D’abord parce qu’il savait qu’elle n’aimait pas Paris, ensuite parce qu’elle l’avait vendu un assez
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