Talleyrand, les beautés du diable
France ? Oui, ajoutera-t-il, la théologie m’a été très utile dans la préparation à la diplomatie, elle m’a donné la force et la souplesse du raisonnement.
De la souplesse ? Il en fait alors preuve dans les bras de Maria, Amy et Sophie, trois soeurs qui ne résistent pas à son sourire de bonne compagnie, à son petit nez mutin, tout en trompette, à ses yeux bleus, son teint clair, ses cheveux blonds et surtout à sa distinction.
— Je me souviens, en effet, de Maria, d’Amy et de Sophie, avouera-t-il en son âge avancé, elles étaient comme trois formes de gouvernement : République, Empire et Restauration...
Malgré de longs après-midi passés dans l’intimité de ces demoiselles, Charles Maurice est assidu à la Sorbonne. À tel point même que, le 2 mars de 1778, il obtient sa licence.
Licence ! Un mot de trois syllabes pour une double signification. Et il est sûr que le deuxième sens lui convenait autant que le premier. Si ce n’est plus !
— Talleyrand ? C’était une tête d’ange animée de l’esprit du diable, songe son ami le comte Molé.
Avec sa tête d’ange et les quelques sols que lui rapporte son abbaye rémoise, il loue aussitôt un petit pavillon de deux étages, à l’angle de la rue Saint-Dominique et de la rue de Belle-Chasse. Ce sont les chanoinesses augustines du Saint-Sépulcre-de-Jérusalem qui acceptent, flattées, que ce grand seigneur ecclésiastique soit leur locataire.
Ignorant alors que le gîte de Belle-Chasse allait rapidement devenir un repaire de beau gibier !
— Eh oui, disait Charles Maurice, les abbés présentent deux avantages pour les femmes : d’abord elles sont sûres du secret, ensuite elles savent que leur amant peut leur donner autant d’absolutions qu’elles commettent de péchés avec lui.
Pas de bréviaire ni de vie des saints, sur sa table de chevet, mais des piles d’ouvrages érotiques telle l’ Histoire de Dom B... portier des Chartreux, livre relié en pleine peau, que ses visiteuses ouvraient, effarouchées, tant il était ornée de gravures salaces.
Mais quand elles refermaient le volume, il voyait bien qu’elles étaient déçues de ne pas trouver un deuxième tome...
Alors il s’employait à les consoler...
Avant d’aller dîner en ville.
Chez madame de Boufflers-Rouvrel, par exemple, à moins que ce ne fût chez la comtesse de Brionne, chez madame de La Reynière, ou chez madame de Montesson.
La superbe comtesse de Brionne !
Elle avait pourtant passé le cap de la quarantaine, à cette époque, mais, à l’instar de Diane de Poitiers, elle semblait ne devoir jamais prendre une ride. Et elle était aussi intelligente que la chasseresse du château d’Anet.
— Ah ! se souvient un de ses familiers à la limite des pâmoisons. Ah ! le son de sa voix ! Ah ! son délicieux profil si régulier, son regard doux et imposant, son langage si éminemment distingué, son port majestueux et la vivacité de son esprit !
Elle était si remarquable qu’on dit même que Louis XV aurait un jour tenté de l’inscrire sur la liste de ses menus plaisirs.
En vain.
L’apercevant par une fenêtre et n’y tenant plus, il lui aurait alors lancé gaillardement :
— Par où va-t-on chez vous, madame ?
Et il se serait attiré cette réponse que l’on prête aussi à Marie Mancini courtisée par Louis XIV, ou à Eugénie de Montijo serrée de très près par Napoléon III :
— Le chemin de mon alcôve passe par la chapelle, sire.
Veuve à trente-sept ans – et même si au XVIII e siècle, une femme commençait, à cet âge-là, d’entrer dans ce que l’on appelle aujourd’hui le troisième âge –, Louise de Brionne refusa toujours d’être inconsolable. Le cardinal de Rohan et le duc de Choiseul furent bien placés pour le savoir.
Et le jeune abbé de Talleyrand aussi.
Il avait vingt-quatre ans quand il succomba. Et elle en comptait quarante-quatre !
— Je fus non seulement séduit par sa beauté, dit l’abbé amoureux, mais aussi par le prestige de son sang illustre et fameux.
Car il avait les dents longues.
Et il ne lui déplut pas d’apprendre, un soir, que son ardente comtesse projetait de lui faire obtenir une barrette rouge de cardinal pour son trentième anniversaire. On dit que c’est Marie-Antoinette qui s’opposa à cette promotion qui eût tout de même été singulièrement rapide.
Charles Maurice se consola. Dans les bras de la belle Brionne, évidemment, mais aussi
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