Talleyrand, les beautés du diable
aveuglés, on nous proposera trois coupes pleines de champagne. Dans chacune d’elles, avant que nous la portions à nos lèvres, une des trois jeunes et délicieuses personnes qui nous ont fait l’honneur de partager notre repas sera venue tremper la pointe de son sein...
— Nous devions alors boire le champagne et identifier les trois baigneuses d’après le goût laissé par leurs tétons, se souvient un participant... Et c’est l’abbé de Périgord qui sortit vainqueur de cet étrange tournoi...
Talleyrand aimait aussi se moquer du monde.
Lors d’un dîner donné chez monsieur de Calonne, la princesse de Robecq, sa voisine, se plaint soudain d’une horrible migraine. Elle quitte la table, s’allonge sur un divan et gémit.
— J’ai sur moi ce qu’il faut pour vous guérir, dit Talleyrand.
Il sort alors une fiole de sa poche.
— Cet élixir miracle m’a été vendu par ce monsieur Cagliostro que vous admirez tous.
Et il s’emploie aussitôt à en frictionner énergiquement le front de la princesse. Si vigoureusement, même, qu’il en vient à l’égratigner un peu. Hauts cris de madame de Robecq qui non seulement persiste à avoir ses maux de tête, mais a maintenant le visage orné d’une vilaine griffure.
— Vous êtes un assassin, l’abbé ! s’emportent alors les invités.
— Chère madame, pardon pour le coup d’ongle, dit-il calmement.
Avant d’expliquer qu’il voulait seulement démontrer aux inconditionnels de Cagliostro que son élixir était une imposture et eux... des imbéciles.
En ce qui le concernait, au breuvage du charlatan il préférait assurément le vin de Bourgogne que lui avait fait parvenir sa grand-mère, la marquise d’Antigny, depuis son château de Commarin, pour qu’il pût arroser son beau diplôme de théologie.
Et pourquoi ne pas le fêter dans les bras de la comtesse de Flahaut ?
Chapitre trois
Quand l’abbé devient père...
Autrefois, au temps de « la douceur de vivre », quand une jeune fille nubile de bonne famille avait l’outrecuidance de vouloir connaître le nom du mari qui lui était destiné, elle s’attirait généralement de sa mère une réflexion du genre :
— Enfin, ma fille, mêlez-vous de ce qui vous regarde !
Eh bien ! ce fut quasiment dans ces conditions qu’à dix-huit ans Adélaïde Filleul s’était vue contrainte d’épouser le comte de Flahaut, son aîné de trente-cinq ans.
À cette différence près que la délicieuse demoiselle eut droit à un :
— Ma soeur, mêlez-vous de ce qui vous regarde !
Car sa mère, Irène du Buisson de Longpré, qui avait elle-même mené une vie sentimentalement chaotique, en roulant dans l’alcôve du fermier général Bouret d’Érigny par exemple, ou en s’autorisant quelques petites secousses au Parc-aux-cerfs dans les bras de Louis XV en personne, était morte prématurément, épuisée. Mais avant son dernier spasme, elle avait eu le temps de demander à Julie, sa fille aînée, de bien vouloir prendre soin d’Adélaïde, sa cadette.
Or, en ce temps-là, Julie avait d’autres chats à fouetter puisqu’elle filait le parfait amour avec Abel Poisson, marquis de Marigny, comte de Ménars et frère de la Pompadour.
Dans ces conditions, la petite Adélaïde fut immédiatement propulsée au couvent.
Et quand elle en sortit, âgée de seize ans, elle était fort jolie.
— Non, elle était mieux que jolie, elle était charmante, tient à préciser le baron de Maricourt. Elle était mise avec une élégance sans recherche qui rehaussait sa démarche noble et aisée et dessinait sa taille souple. Une étrange séduction émanait de sa personne tout entière. L’ovale du visage, chez elle, était très pur et l’opulence de sa chevelure châtaine, qui semblait friser naturellement sous la poudre, faisait ressortir la blancheur du teint éclairée par deux yeux bruns, les plus beaux yeux du monde...
— Adélaïde, je vais te présenter à Charles François de Flahaut de la Billarderie, avait dit Julie, un jour de 1779, à l’époque où elle-même était devenue la maîtresse du cardinal de Rohan – le fâcheux cardinal de l’affaire du collier. Ce maréchal de camp, qui est d’une famille noble du Beauvaisis, t’a remarquée. Il s’est même épris de toi à tel point qu’il me demande ta main. Et il n’est pas question que tu la lui refuses ! Car, à quoi peut prétendre une fille pauvre qui n’a pour elle que son joli regard, son
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