Talleyrand, les beautés du diable

ministre de la Marine, qui crut devoir consulter son ami l’évêque d’Arras. Celui-ci vit dans sa théologie que cela ne lui serait bon à rien ; en conséquence, il se plaça dans une grande rigueur. On jeta mon mémoire au feu, et il n’a fallu rien moins que la Révolution pour que toutes ces Bretonnes, qui, je pense, avaient un peu vieilli, pussent se remarier.
    Attentif au sort des veuves de Landernau, de Trébeurden et d’ailleurs, quand madame de Flahaut s’éloigne de lui durant quelques jours pour aller visiter une vieille religieuse amie, il a à coeur d’aller consoler la belle-soeur de l’évêque de Rennes, madame de Girac, dans la chambre de laquelle on sait qu’il composa ce bout rimé :
    Et que me fait à moi qu’on soit belle ou jolie
    À moi qui par raison ai fait une folie...
    Adélaïde fut-elle informée de son incartade ? Si oui, elle ne lui en tint pas rigueur. D’ailleurs, elle sut rapidement que le sentiment de la fidélité amoureuse n’était pas son fait.
    Mais comme de son côté il ne posait jamais aucune question...
    D’ailleurs la gentille Flahaut n’ignorait pas qu’après avoir passé un après-midi au creux de ses petits bras laiteux, le soir venu son cher abbé s’en allait régulièrement courir une caravane dans telle ou telle maison galante ou dans tel salon des libertins du temps.
    Dans celui du duc d’Orléans, par exemple, car le futur Philippe Égalité était passé maître dans l’art d’organiser les plus chaudes nuits de Paris. Il avait notamment inventé « le souper des veuves ». Ce banquet, qu’il donnait à l’occasion du mariage d’un de ses amis, se déroulait dans un décor surréaliste avant l’heure. Avec la salle des agapes qui était tendue de draps noirs ; avec des chandeliers à la flamme forcément vacillante ; avec une petite tribu de pleureuses, à la nudité à peine dissimulée sous de légers voiles de crêpe, que les gaillards compagnons de ripaille du duc d’Orléans avaient pour mission de consoler...
     
    Donc, l’homme qui sera bientôt évêque d’Autun et qui célébrera un jour – si maladroitement ! – sur le Champ-de-Mars, au son des tambours et des trompettes, la grand-messe de la Fédération était un amateur de parties fines !
    Et il était de santé robuste !
    Car, contrairement à nombre de ses contemporains, il semble qu’il ne souffrit jamais de ce mal que l’on pouvait contracter en faisant des folies de son corps au creux des reins d’une professionnelle de l’amour – il n’attrapa pas de « bonne galanterie », il ne fut pas « poivré » comme on disait alors.
    Et pourtant, à cette époque, il n’existait aucune protection contre ce mal brûlant qui faisait tant de ravages. Le prince de Lamballe, autre compagnon des jeux nocturnes et crapuleux du duc d’Orléans, s’en était aperçu à ses dépens. À trop fréquenter les petites vertus qui s’appelaient la Forest ou la Chassaigne ou encore Palais d’or, une gourgandine ainsi baptisée depuis qu’à la suite d’un « accident du travail » elle portait une prothèse en métal précieux dans la bouche, le jeune mari de la princesse amie de Marie-Antoinette était tombé malade. À tel point qu’il avait fallu l’opérer de cet organe qu’il utilisait fatalement lorsqu’il se livrait au simulacre de la propagation de la race et qu’à la suite de cette horrible intervention les mauvaises langues ne le désignèrent plus que sous le méchant surnom de « Prince Sans Balles ».
    L’abbé Charles Maurice, lui, ne fut jamais « gasté » et resta donc toujours en mesure de procréer.
    Adélaïde de Flahaut fut d’ailleurs à même de le constater bientôt.
    À la fin de l’été de 1784, sa taille commença en effet de s’arrondir. Il ne faisait aucun doute qu’elle portait un fruit. Et il était sûr, aussi, que son vieux mari légitime n’entrait pour rien dans cette affaire car elle ne l’avait jamais connu bibliquement. Hormis peut-être cinq ans plus tôt, le soir de leur mariage, soit une fois pour toutes et pour donner le change. Depuis lors, elle s’était cantonnée dans un rôle de figurante, réservant ses étreintes à son abbé préféré.
    Qui les lui rendait bien, même si, selon l’intéressée elle-même, son amant en soutane était plus caresseur que hussard.
    — Il excellait en suaviter in modo mais peut-être manquait-il un peu de fortiter in re , convient en effet madame de