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Talleyrand, les beautés du diable

Talleyrand, les beautés du diable

Titel: Talleyrand, les beautés du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Decker
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construire par un menuisier, aidé d’un serrurier, « une manière de boîte pesant huit livres environ, et où le fer, le bois, la tôle, le cuir, les vis et les écrous ne se trouvaient point épargnés ».
    À cette différence près, tout de même, que si l’Hippolyte de Flaubert, le garçon de l’auberge du Lion d’or, finit gangreneux et amputé au niveau de la cuisse, Talleyrand, lui, sera en mesure de garder mauvais pied et bon oeil jusqu’à la fin de sa course.
    Si son pied droit était gauche, sa main dextre fut toujours fort adroite. Elle savait habilement tremper sa plume d’oie dans l’encrier, la laisser courir sur le papier pour rédiger telle recommandation, telle supplique, tel mémoire ou tel billet doux.
    Et quelle étonnante calligraphie !
    La graphologie n’existait pas, du vivant de Talleyrand. Et heureusement pour lui d’ailleurs ! Sinon, il eût été rapidement démasqué, le roué et habile homme, à travers la manière qu’il avait de former ses lettres, de donner à ses mots des allures serpentines, sinueuses et affectées. Combien de spécialistes se sont penchés sur ses manuscrits depuis l’invention de cette science. Et ils sont unanimes : son écriture rejoint celle de Mazarin, celle de saint Vincent de Paul, celle de madame de Sévigné ou encore celle du cardinal de Retz, soit autant de personnalités qui brillèrent par leurs aptitudes à la diplomatie. À cette différence près que monsieur Vincent n’était ni ladre ni égocentriste alors que Charles Maurice l’était viscéralement.
    — Pingrerie, égoïsme renforcé, ambition formidable ; grande énergie avec des moments de dépression ; remarquable maîtrise de soi ; esprit intuitif bien caractérisé, très clair, qui raisonne très froidement et très justement ; belle mémoire ; art consommé de la dissimulation et du mensonge ; mensonge à jet continu ; impudent mais adroit ; sécheresse de coeur révoltante, qui n’exclut pas une sensualité très éveillée ; âpreté au gain, a conclu un graphologue qui, en se penchant sur quelques-uns de ses manuscrits, ignorait évidemment qu’ils avaient été tracés de la main d’un séminariste de Saint-Sulpice et ministre de l’empereur Napoléon.
    Ainsi donc, les analystes du coup de plume sur la page blanche affirment que Charles Maurice était un radin.
    Et ses nombreux créanciers ne les auraient évidemment pas contestés !
    Même lorsque le temps sera venu où il roulera sur l’or, il mettra encore beaucoup de mauvaise grâce à régler ses factures.
    Roulant sur l’or, il roulera carrosse, mais il cherchera aussi à rouler son carrossier.
    Après des dizaines de réclamations restées lettres mortes, l’artisan impayé décida de venir se planter tous les soirs, comme une statue de sel, devant le domicile de son client malhonnête. Le premier jour Talleyrand ne le remarqua pas. Le deuxième non plus. Le troisième, il parut étonné. Le lendemain, il fut agacé mais ne dit mot. Le dixième soir venu, gagné par l’énervement, il consentit enfin à interpeller cet homme qui semblait rivé sur le pas de sa porte.
    — Mais qui êtes-vous donc, mon ami ?
    — Moi ? Eh bien, je suis votre carrossier, monseigneur.
    — Ah ! vous êtes mon carrossier ! Et que me veut mon carrossier ?
    — Je souhaiterais être payé, monseigneur.
    — Ah ! vous êtes mon carrossier et vous voulez être payé ! Mais vous serez payé, monsieur mon carrossier !
    — Mais quand, monseigneur ?
    — Ah ça, par exemple, vous êtes bien curieux, vous, pour un carrossier !
     
    Si, au début de sa carrière, Talleyrand connut quelques difficultés de trésorerie, il parvint à les résoudre en jouant aux cartes ou en boursicotant. On sait en effet qu’il avait ses habitudes dans les tripots du Palais-Royal où il « tapait le carton » avec bonheur car sa rouerie lui permettait souvent de rafler les mises des parties d’ambigu endiablées ou de bouillotte, ces manières de poker avant l’heure. Car il avait le profil type du parfait joueur de poker : jouer, pour lui, signifiait dominer. Ses émotions, d’abord, et ensuite ses partenaires.
    — Son masque nous impressionnait, se souvient un de ses complices. Nous ne lisions rien en lui. Qu’il perdît ou qu’il gagnât, nous étions toujours dupés.
    C’est au Palais-Royal aussi, au lieu dit le « Camp de Tartares », que Charles Maurice avait ses habitudes d’agioteur. Il s’en

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