Talleyrand, les beautés du diable
du beau sexe. Cela s’explique sans doute par le fait qu’il savait mieux que quiconque que, avec ou sans bulletin dans sa jolie main, la femme savait suffisamment jouer de son influence.
Restait maintenant à convaincre ses électeurs du diocèse d’Autun.
Il s’y employa avec habileté.
— Il présida avec régularité son conseil épiscopal, raconte un témoin. Il fit des nominations aux cures vacantes ; apaisa bien des différends. Il alla chaque jour prier dans les églises ; on l’apercevait dans son jardin, lorsqu’il y avait un rayon de soleil printanier, qui faisait les cent pas en lisant son bréviaire – à moins que ce ne fût La Paysanne pervertie ou Le Pornographe , un des derniers titres crapuleux de Rétif de la Bretonne ! Il tint table ouverte à l’évêché...
Et quelle belle table !
Mais on était en carême, à cette époque de l’année ! Ce qui voulait dire qu’il aurait dû montrer le bel exemple de l’austérité ! Il le montra à sa manière. En ce temps-là, où l’Église et l’État n’étaient pas encore séparés, les règlements de police très stricts obligeaient à respecter les lois de Rome. Ainsi les boucheries étaient-elles fermées par ordre les jours maigres, ce qui contraignait le bon chrétien à ne se nourrir que de légumes et de poissons. Mais le poisson ne courait pas les rues dans Autun qui n’est pas, comme chacun le sait, « un joli port de mer ». Qu’à cela ne tienne, en fin gourmet que l’on sait, le jeune évêque obtint très vite que la malle-poste de Paris à Lyon s’arrêtât régulièrement sur le parvis de la cathédrale avec une cargaison de poissons tenus au frais dans de la glace placée aux différents relais.
Dans ces conditions, au printemps de 1789, à Autun, on pouvait manger du poisson venu de la marée fraîche de Dieppe.
De quoi faire le bonheur des chanoines et de quoi faire des chanoines de bons et loyaux électeurs.
De quoi se faire des ennemis, aussi, comme ce portraitiste anonyme qui eut alors l’idée de tracer une caricature où Charles Maurice était représenté, mitré, assis au bord d’un plan d’eau, les jambes nonchalantes, tenant à la main une petite canne à pêche au bout de laquelle frétillait un superbe brochet, le tout sous l’oeil gourmand de quelques abbés grassouillets qui barbotaient dans la vase avant d’émerger d’épaisses touffes de roseaux et de se précipiter sur la bête.
— Et pourquoi n’avez-vous pas encore célébré l’office ? lui demandent un jour quelques paroissiens à cheval sur les principes. Et pourquoi ne profiteriez-vous pas du dimanche de l’Annonciation – le 25 mars – pour nous dire une belle messe pontificale ?
Pourquoi ? Parce qu’il en était incapable, voilà tout. Jusqu’à présent il n’avait consacré qu’à trois reprises l’eucharistie. Trois messes, trois calvaires. Autant pour les fidèles que pour le célébrant, d’ailleurs.
Mais comment se défiler, ici, dans SA cathédrale Saint-Lazare ? Un refus compromettrait certainement son élection pour les États généraux. Alors, à Dieu vat !
À Dieu « va comme je te pousse », plutôt.
Car la cérémonie fut véritablement grotesque. Avec la catastrophe frôlée à chaque oraison, à chaque attaque de psaume, à chaque genouflexion. Un peu comme le fera un jour dom Balaguère, le gros gourmand héros des Trois messes basses d’Alphonse Daudet, Talleyrand bâcla son office, s’embrouilla, intervertit le credo et le confiteor , bredouilla son pater noster , ne vint pas à bout du kyrie , transpira abondamment sur l’ agnus dei , avant d’être enfin soulagé en lançant un ite missa est claironnant.
Évidemment, les chuchotements soutenus de l’assistance, les sourires des clercs et les regards consternés des chanoines ne lui avaient pas facilité la tâche, et ses trous de mémoire canonique étaient sans doute appelés à rester célèbres chez les Autunois consternés.
Mais bon, au diable cette célébration ratée ! D’ailleurs, il faudrait le payer cher, à l’avenir, pour qu’il acceptât de remonter un jour à l’autel.
Au diable la messe ?
Il a donc décidé de prendre ses distances avec Dieu (ils se saluaient mais ne se parlaient pas, pour reprendre un mot de Voltaire), mais quid du diable ?
Eh bien, il ne fanfaronne pas, lorsqu’il le rencontre, un matin, sur la grande terrasse de son évêché.
Ce jour-là, on le trouve d’abord
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