Talleyrand, les beautés du diable
désir de vous voir... Je m’adresse à l’église d’Autun comme à une épouse... Je lui promets mon dévouement... Je la chéris...
Il y a du loup en lui, plus que du pasteur !
Voulant emmener ses agneaux au bord du ruisseau où ils s’abreuveraient de sa bonne parole, il leur laissa aussi miroiter qu’il allait obtenir la béatification de Marie Alacoque.
Cette femme-là, native de son nouveau diocèse – à Lauthecourt, précisément, en 1647 – et morte à Paray-le-Monial au monastère de la Visitation, avait été célèbre pour ses visions. Bernadette Soubirous avant l’heure, elle avait connu plus d’une apparition, plus d’une extase. Elle s’était mortifiée à souhait, avait provoqué quelques miracles, s’était lancée dans d’incroyables prophéties... dont celle de son décès qu’elle avait prévu pour le 17 octobre de 1690.
Et, ainsi qu’elle l’avait annoncé, elle mourut bel et bien ce jour-là !
Freud n’étant appelé à voir le jour que cent soixante-six années plus tard, personne n’aurait alors osé imaginer qu’elle était un peu hystérique et suicidaire. Même quand au matin de sa mort on découvrit le nom de Jésus gravé sur sa poitrine à l’aide d’un canif à la lame pointue et bien effilée.
— Cette femme qui a institué la dévotion au Sacré-Coeur de Jésus est une sainte ! s’exclama Talleyrand. Il faut qu’elle soit reconnue comme telle ! Ah ! Seigneur Dieu, oui, notre diocèse d’Autun peut être fier d’elle !
Ce disant, il confondait tout de même vitesse et précipitation.
— L’évêque d’Autun met plus d’empressement que d’exactitude, et beaucoup plus de zèle pour sa considération personnelle que de véracité canonique, observèrent aussitôt les sages de la Congrégation des rites.
À la suite de quoi ils décidèrent de classer le dossier de la religieuse mystique et sans doute masochiste.
Et pendant tout un temps, dans les hautes sphères des canons de la chrétienté, quand on fit allusion à Marie Alacoque, on songea systématiquement à l’évêque d’Autun auquel on avait donné le surnom de « Joseph à la Mouillette » !
Pendant un très long temps même, puisque, béatifiée en 1846, soit huit ans après la mort de Charles Maurice, la dame de Saône-et-Loire allait tout de même devoir patienter jusqu’en 1920 – Benoît XV étant pape et Paul Deschanel président de la République – pour être enfin canonisée comme elle le méritait bien.
Il a fait chou blanc avec Marie Alacoque ? Qu’importe, le « culbuto » de Germaine n’est pas homme à se laisser abattre. Ainsi, quand il apprend que Louis XVI a décidé de convoquer les États généraux pour le tout début de mai 1789, fouette cocher ! il n’est plus temps de gouverner son diocèse à distance, il descend à Autun à la vitesse grand V – soit en deux jours ! – avec l’idée de se faire élire député.
Et ce fut ainsi que son premier périple épiscopal ressembla étrangement à une tournée électorale.
Mais sans appareil politique, sans directeur de campagne ni agent publicitaire !
Car il avait des idées, le jeune évêque, et il se suffisait à lui-même. Avec cette envergure propre à faire blêmir de jalousie nombre de nos modernes postulants au palais Bourbon.
— C’est vrai, écrira Sainte-Beuve qui n’a pourtant pas beaucoup de sympathie pour lui, dès son arrivée à Autun le prélat apparut comme un des esprits les plus éclairés et les plus perspicaces de son époque.
Son programme ? C’est bien simple, s’il avait été appliqué à l’échelon national, la Révolution n’aurait probablement pas été baptisée sur des fonts ensanglantés. Par exemple, il était un ardent partisan de la refonte du droit et de la justice pour que fussent garanties les libertés individuelles et le maintien inaltérable de la propriété.
Liberté !
Il souhaitait aussi que fût créée une grande banque nationale (la Banque de France qu’instituera bientôt Bonaparte) et que l’on songeât enfin à la justice devant l’impôt. La destruction des privilèges, en quelque sorte.
Égalité !
Il formait enfin des voeux pour que les représentants du peuple, élus, fussent réellement efficaces et appelés à délibérer confraternellement sur tous les actes publics.
Fraternité !
Liberté, égalité, fraternité, mais pas d’amour !
Charles Maurice ne fait en effet aucune allusion au droit de vote
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