Talleyrand, les beautés du diable
– et qui ne tenait plus du tout à revoir celui que maintenant elle appelait « l’Ancien ».
Car il y avait un nouveau.
Devenue veuve depuis que son vieux Flahaut de mari avait gravi les degrés de l’échafaud un matin de l’été de 1794, Adélaïde était en effet tombée sous le charme d’un diplomate portugais et si cet homme-là possédait une qualité essentielle (il était riche), elle lui savait cependant deux défauts qui ne lui facilitaient pas la vie : il était timide et d’humeur sombre. Sa timidité l’empêchait de déclarer franchement sa flamme, sa mauvaise bile le rendait férocement jaloux.
Dans ces conditions de susceptibilité, s’il apprenait le retour de l’ex-amant de la dame qu’il courtisait, il risquait bien de claquer la porte qu’il venait à peine d’entrouvrir.
Or, voulant faire une fin et se donner les moyens d’élever dignement le petit Charles, maintenant âgé de dix ans, Adélaïde ne rêvait plus que de l’épouser.
— Elle m’a fait froidement savoir qu’elle craignait que je ne fusse un obstacle à son mariage avec l’ambassadeur du Portugal au Danemark, raconte Charles Maurice un peu amer.
Après un mois et demi de grand large et d’abstinence, il se serait volontiers laissé aller à passer sa fantaisie dans les bras de cette ancienne maîtresse dont il connaissait l’anatomie sur le bout des doigts.
Mais tout sera bien qui finira bien, car, même si Talleyrand décide de rester un mois à Hambourg, Adélaïde deviendra quand même madame de Souza.
Pas avant le 17 octobre de 1802, cependant.
Ce qui prouve bien que son Portugais était vraiment très timide.
Ce n’est d’ailleurs pas pour contrarier la mère de son fils que Charles Maurice s’attarde à Hambourg, c’est parce qu’il est malade.
— Je n’ai vu que peu de monde, j’ai eu une forte fièvre pendant quinze jours, confie-t-il à madame de Staël.
Le fait mérite d’être signalé car le boiteux équivoque était plutôt d’une santé à toute épreuve. Il résista même, on le sait, à toutes les « bonnes galanteries » qu’il aurait pu fatalement contracter à l’occasion de telle ou telle partie fine.
Dès qu’il est en mesure de mettre un pied bot à terre, il prend la route de Paris où la Convention a vécu, où les églises ont été restituées au clergé ; où l’on a dit adieu aux assignats et recommencé la frappe de l’argent ; où Gracchus Babeuf et ses collectivistes ont été arrêtés pendant que « la droite » a repris du poil de la bête ; où l’on parle de plus en plus d’un petit général corse, véritable prodige de stratégie.
Dans un premier temps, Charles Maurice va s’installer chez madame de Boufflers, à Auteuil.
Car il n’a plus de logement dans la rue de l’Université, évidemment, on a pris tout ce qui le meublait, on a dispersé tous ses biens au feu des enchères publiques. Jusqu’à la garde-robe de « Talleyrand-Périgord ci-devant évêque d’Autun » qui a été vendue à la criée !
Et les vêtements inventoriés à cette occasion ont de quoi nous laisser rêveurs. Il y avait là de nombreuses soutanes, cela va sans dire, ainsi que des redingotes, des houppelandes, des gilets et des chemises, mais on découvrit aussi dix-sept paires de souliers de femme, une robe de mousseline bleue brodée de chaînette blanche, deux robes d’indienne noir et blanc, et dans le fond des armoires on mit encore la main sur une théorie de chemises, de cotillons et de petites culottes.
Autant de reliques de ses folles soirées, sans doute.
Autant de souvenirs négligemment abandonnés par ces dames qui en prenaient à leur aise lorsqu’elles venaient câliner le prélat.
Car il est peu vraisemblable que Talleyrand fût fétichiste ou collectionneur de trophées.
Sa première préoccupation parisienne est de s’informer des femmes qui font la pluie et le beau temps dans le nouveau gouvernement qui s’appelle le Directoire. Ensuite, il essaiera de se faire nommer ministre.
Grâce aux femmes.
Madame de Boufflers, sa logeuse d’intérim, n’a pas manqué l’occasion de lui raconter ce qu’elle savait des dames influentes et elle le fit certainement avec beaucoup d’esprit, car la pétulante vieille marquise n’en manquait pas.
C’est elle, par exemple, qui, à la mort de son mari infidèle, avait déclaré :
— Je vais enfin savoir où il passe ses nuits !
N’ayant pas été beaucoup
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