Talleyrand, les beautés du diable
s’attirer cette piquante repartie :
— Votre vieil ami, soit, mais votre jeune adorateur, car nos sentiments, je crois, n’ont pas dépassé la huitaine.
Alors qu’avec Germaine c’était déjà une vieille histoire.
Ils avaient vécu pendant des mois « sur le pied de l’intimité » et, d’un exil à l’autre, ils n’avaient jamais cessé de correspondre. Certes, aujourd’hui elle était du dernier bien avec Benjamin Constant mais cela ne l’empêchait pas de rester l’amie amoureuse de l’homme qu’elle admirait pour son intelligence.
Benjamin Constant de Rebecque ? Lorsque Talleyrand le rencontre pour la première fois, il le trouve « roussâtre, long, flexible comme un invertébré, inquiétant et supérieurement intelligent » et il ne lui en veut pas d’avoir séduit la fille de Necker. La jalousie est un sentiment qui lui est parfaitement étranger. Car pour être jaloux il faut aimer vraiment. Il le félicite, au contraire, d’avoir oeuvré pour qu’elle puisse rentrer de Suisse et se réinstaller à huit lieues de Paris.
Alors, très vite il la revoit.
— Le moment est venu que je vous trouve une place au sommet de l’État, lui dit-elle fougueusement.
Elle ne doutait de rien et elle avait raison.
Elle avait beaucoup de mérite aussi, car on ne peut pas dire – et on va le constater en faisant une manière de revue de presse – qu’à cette époque le cher Charles Maurice était en odeur de sainteté auprès de ses contemporains.
— C’est une triste canaille, disait l’un.
— Il n’a aucun principe et il en change comme de linge, ajoutait Carnot.
— Ce bougre-là ressemble à une éponge, fulmine Marie-Joseph de Chénier qui avait pourtant été son défenseur. Il s’imbibe de toutes les liqueurs dans lesquelles on le trempe, avec cette différence que l’éponge pressée rend ce qu’on lui confie et qu’ici tout sera de bonne prise pour notre ami...
— Il n’a jamais existé un être plus pervers, plus dangereux, et qui méritât davantage de ne jamais rentrer en France, proclamait le directeur Rewbell. C’est un homme fait pour perdre tous ceux qui le laissent approcher. On l’a volé à la liste des émigrés, il était là à sa place ; je propose qu’on l’y rétablisse. C’est la friponnerie incarnée et la nullité empesée.
Il n’y avait guère que le ministre des Relations extérieures pour prendre sa défense.
— Talleyrand a l’envergure nécessaire pour entrer au gouvernement !
Or, à l’heure où ce ministre-là, un conventionnel régicide, vantait toutes les qualités de l’ancien évêque d’Autun, celui-ci était en train de le cocufier éhontément.
Le ministre des Relations extérieures se nommait Charles Delacroix et sa charmante épouse blonde, la belle Victoire, était, comme la plupart de ses contemporaines, tombée sous le charme du pied bot.
À tel point qu’on peut être à peu près sûr que le gros garçon qu’elle mettra bientôt au monde possédait quelques gènes venus de chez les Talleyrand-Périgord !
Né à Charenton-Saint-Maurice, le 26 avril de 1798, le fils de Victoire sera prénommé Eugène.
Eugène Delacroix qui deviendra le grand peintre romantique que l’on sait.
— Et dont la pâleur et le sourire bridé ne pouvaient faire songer qu’au prince de Talleyrand, affirmera une de ses familières.
Aujourd’hui, les professionnels de l’ADN pourraient nous dire avec certitude si l’auteur de La Liberté guidant le peuple ou de l’ Entrée des croisés à Constantinople est le rejeton de l’évêque séducteur ; hier on savait seulement que Charles Delacroix n’était pas en état de procréer à l’heure où le bébé avait été conçu.
— Ce n’est pas un ministre, disait méchamment de lui madame de Staël, c’est une vieille femme enceinte.
Il est vrai que son abdomen était affligé d’une énorme et horrible tumeur, laquelle constituait un sérieux handicap au cas où il aurait eu l’envie et l’énergie de se livrer au simulacre de propagation de la race.
— Cette impressionnante excroissance pesait plus de trente-deux livres et elle couvrait 37 centimètres sur 27, a affirmé le chirurgien Imbert Delonnes qui, au terme de trois heures d’intervention – et sans anesthésie ! –, était parvenu à l’extirper.
À compter de ce jour-là, le ministre n’eut enfin plus l’air d’une femme enceinte. En revanche sa femme l’était
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