Talleyrand, les beautés du diable
plus sérieuse que son défunt époux, elle avait aussi imaginé sa propre épitaphe :
Ci-gît dans une paix profonde
Une dame de volupté
Qui, pour plus de sécurité,
Fit son paradis en ce monde.
La malicieuse Boufflers lui apprend donc qu’il faut d’abord compter avec la citoyenne Tallien, « la Cléopâtre de la république dictatoriale », une femme qui affiche un rare curriculum vitae sentimental. Née Thérésa Cabarrus, elle a commencé par être mariée au marquis de Fontenay, elle frôle la guillotine et devient bientôt Notre-Dame de Thermidor, la reine de Paris ; elle épouse ensuite le conventionnel Jean Lambert Tallien dont elle ne supporte ni la vulgarité ni la brutalité, ce qui lui permet de le tromper sans remords dans les bras de Barras, le grand patron du Directoire ; puis dans ceux du financier Ouvrad qui trouvera le moyen de lui faire quatre enfants. Enfin, le jour viendra où elle deviendra la femme du comte de Caraman (futur prince de Chimay) qui, à l’instar de son prédécesseur immédiat, lui donnera quatre autres rejetons.
Dans ces conditions, il n’y a rien d’étonnant à ce que sur son lit de mort les témoins l’aient trouvée « monstrueuse de grosseur ».
Mais pour l’instant elle est encore très svelte et « de son sceptre léger elle dispense les grâces désirées et manoeuvre les roitelets qui pensent gouverner Paris et la France ».
Elle n’hésite pas à poser longuement en tenue très académique devant le peintre Jean-Baptiste Isabey afin de laisser la trace de son délicieux sein gauche à la postérité.
Fortunée Hamelin, la tapageuse épouse d’un fournisseur aux armées, dispose également d’une garde rapprochée d’hommes en situation. Il est vrai qu’elle aussi possède de beaux atouts.
« Sensible comme une créole, sentimentale à ses moments perdus et avec une vivacité qui la surprend elle-même, romanesque par boutades, intrigante par goût, il ne lui suffit point d’être le charme de tous les yeux avec ses grâces de danseuse, sa tournure enchanteresse, son minois provocant et ses dents menues auxquelles seraient permises, pour leur blancheur et leur finesse, toutes les gourmandises imaginables », s’exalte l’historien du début du XX e siècle, Frédéric Loliée, donnant l’impression d’avoir connu Fortunée dans une vie antérieure.
Et que dire de mademoiselle Lange, la comédienne « à la bouche plus fraîche qu’une rose » et dans la main de laquelle tous les hommes politiques du temps étaient disposés à venir manger !
On sait que Charles Maurice lui-même aura bon appétit.
De la Comédie-Française au théâtre Feydeau, en passant par le théâtre de l’Égalité, Anne-Françoise-Élisabeth Lange ne se contentait pas de brûler les planches, elle savait aussi briser les coeurs et vider les bourses.
« Tout Paris raffolait d’elle, raconte un chroniqueur. Les bouquets et les offres s’amoncelaient à sa porte. On évaluait ses amours à 1 000 livres les douze heures. »
C’était une femme qui, somme toute, gagnait à être connue...
Après l’avoir appréciée bibliquement, Talleyrand acceptera d’être témoin à son mariage avec le financier Simons célébré à la veille de Noël de 1797.
Ce qui était tout de même d’une rare élégance !
« L’ancien abbé Maurice » aura très vite beaucoup de succès auprès de l’escadron froufroutant des jupons du régime qui avait succédé à la Convention : le Directoire.
Souvent sans l’avoir cherché, d’ailleurs.
Mais il avait en lui quelque chose qui séduisait naturellement. Étaient-ce ses manières d’Ancien Régime, sa nonchalance, la subtilité qui jaillissait de son regard d’un gris-bleu vivace ? Était-ce sa conversation toujours spirituelle, tour à tour onctueuse ou impertinente ? Toujours est-il que les aventures succéderont aux aventures. Un soir, par exemple, après un dîner, madame Dumoulin, la femme d’un grand ponte du ministère des Armées, s’écria :
— Il ne faudrait pas me pousser dans mes retranchements pour que je m’abandonne à un homme aussi charmeur !
Et l’on dit que dès le lendemain, elle hissait le pavillon blanc.
Mais Talleyrand ne la trouvant pas tout à fait à son goût ne renouvellera guère ses assauts.
Ce qui n’empêchera pas madame Dumoulin, un jour où elle croisera son amant de quelques nuits, de lui donner du :
— Ah ! mon vieil ami !
Avant de
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