Talleyrand, les beautés du diable
l’occasion du remaniement ministériel de juillet 1797 – messidor de l’an V –, quand on chercha un successeur à Delacroix qui, avec ou sans fibrome, paraissait de plus en plus fatigué, Barras proposa le nom de Charles Maurice.
Rewbell et Carnot s’insurgèrent.
— Ah ! non ! s’exclama le premier. Pas lui, pas ce prestolet, ce finaud qui nous vendra tous en pleine foire les uns après les autres, pourvu qu’il y trouve son profit !
— Qui a-t-il déjà vendu ? demanda La Revellière-Lépeaux.
— Qui ? Eh ! mais son Dieu d’abord, que je sache, s’emporta Lazare Carnot le régicide et grand-père du futur président Sadi du même nom.
— Dieu ? Il ne l’a pas vendu puisqu’il ne croit pas en lui.
— Alors, pourquoi le servait-il ?
— Ensuite il a vendu son ordre.
— Une preuve de philosophie, voilà tout.
— Dites plutôt d’ambition !
— Est-ce qu’il n’a pas vendu son roi, aussi ?
— Peut-être, se rengorgea Barras, mais il me semble que nous sommes mal placés pour lui en faire reproche.
Il est vrai que quatre des cinq directeurs, à savoir La Revellière (député du Maine-et-Loire), Carnot (député du Pas-de-Calais), Letourneur (élu de la Sarthe) ou Barras (représentant le Var), avaient voté la mort du mari de l’Autrichienne. Si Rewbell (du Haut-Rhin) ne figure pas au nombre des régicides, c’est tout simplement parce que, au dernier jour du procès du roi (le 17 janvier de 1793), il était en mission à Mayence, d’où il ne s’était tout de même pas privé de faire savoir qu’il fallait presser la condamnation du tyran.
Et au soir du mardi 18 juillet (le 30 messidor), alors qu’il se trouvait dans le salon des Étrangers de l’ancien hôtel Aguado, rue Grange-Batelière, où il disputait quelque endiablée partie de cartes avec son ami le marquis de Saisseval, Charles Maurice fut informé que, par trois voix contre deux, il venait d’être élu ministre des Affaires étrangères.
— Enfin, murmura-t-il, enfin.
Puis il ajouta :
— Il nous reste maintenant à faire une immense fortune !
On sait qu’il la fera.
Et, après une visite de courtoisie à Barras – qui la méritait bien –, il s’en alla finir la nuit chez la sensuelle Aimée de Coigny au petit nez si délicieusement insolent et à la chevelure noire aux reflets de feu.
Chapitre huit
Elle est d’Inde !
Autant les cheveux d’Aimée de Coigny – la « Jeune Captive » si chère à André Chénier – étaient noir de jais, autant ceux de Kelly étaient blond clair. Si les yeux de l’une sentaient la braise, le regard de l’autre était d’un doux bleu apaisant.
Même petit nez canaille un peu relevé pour les deux femmes.
La première, Aimée la bien prénommée, fut accessoirement la maîtresse de Charles Maurice. La seconde deviendra son épouse.
La femme de l’évêque, ni plus ni moins !
Mariée au duc de Fleury, Aimée de Coigny n’avait pas tardé à s’ennuyer en ménage. Surtout à compter du jour où elle avait rencontré le comte de Montrond. Jeune et élégant, vif et insouciant, spirituel et cynique, Montrond la faisait rire. Parfois même à perdre haleine. Et Dieu sait pourtant qu’elle ne manquait pas d’air !
Un soir, par exemple, à Londres où les deux amants s’étaient réfugiés pour fuir les tourments de la Révolution, un vieil amiral anglais s’avoua scandalisé par la façon dont le comte parlait aux femmes.
— Les Français sont des polissons et je ne fais pas d’exceptions ! lança-t-il le rouge aux joues.
— Ah ! dit alors l’amant d’Aimée en levant son verre, eh bien moi, je bois aux Anglais : ce sont des gentlemen. Mais je fais des exceptions.
On comprend pourquoi le spirituel Montrond était devenu l’ami intime et même le complice de Charles Maurice.
L’un et l’autre étaient aussi des infidèles-nés. Ainsi, par exemple, après avoir épousé la belle Aimée – et l’avoir ruinée ! – Montrond décida-t-il de la tromper. Dans les bras de la sculpturale madame Hamelin, la star de l’époque que l’on sait.
— Mais enfin, monsieur, vous êtes marié ! s’était faussement offusquée Fortunée lorsqu’il lui avait proposé une conversation sur l’oreiller.
— Oh, je le suis si peu...
Suffisamment pour exiger le divorce, cependant.
Et, de son côté, quand elle fut libérée des chaînes du mariage, Talleyrand ne rechigna pas à consoler la « Jeune
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