Talleyrand, les beautés du diable
vantaient le retour du roi.
— Vive Louis XVIII ! Vivent nos généreux libérateurs !
Alors, on assista à la paisible révolution des mouchoirs de poche.
— Blancs, les mouchoirs ! avait conseillé Charles Maurice.
Il avait notamment incité monsieur de Pradt, l’archevêque de Malines, à descendre le boulevard de la Madeleine jusqu’au faubourg Saint-Antoine en agitant ledit mouchoir et en criant à tue-tête « Vive le roi ! ».
— Mais, Prince, lui avait rétorqué l’intéressé, vous n’y pensez pas ! Voyez seulement mon costume ! Je suis coiffé en ecclésiastique, je porte ma croix et mon ordre de la Légion d’honneur...
— Précisément ! Votre croix d’évêque, votre toupet, votre rond poudré, tout cela fera scandale, et c’est du scandale qu’il nous faut !
— L’archevêque se crut en service commandé, raconte Lacour-Gayet, il exécuta la consigne. Dès qu’il fut descendu rue Royale et qu’on le vit agiter son carré de tissu blanc en poussant son cri de guerre, un cortège de curieux et de polissons se forma à sa suite. Jusqu’au boulevard Poissonnière les choses allèrent à peu près. Mais là, il donna sur un gros de bonapartistes qui le chargèrent vigoureusement. Il fallut remettre le mouchoir dans sa poche et regagner au plus vite la rue Saint-Florentin. Le malheureux y arriva tout essoufflé et crotté jusqu’à l’échine. Il y raconta avec emphase ce qu’il avait fait, le nombre de partisans qu’il avait conquis à la bonne cause. Après l’avoir écouté froidement, le prince lui répondit : « Je vous avais bien dit qu’habillé comme vous l’êtes vous feriez un effet prodigieux ! ».
Il faut croire cependant que l’archevêque de Malines fit école puisqu’on ne tarda pas à voir, en place de la Concorde, quelques jeunes gens « portant des grands noms de France » se pavaner en agitant leurs carrés de soie immaculée et crier, l’exaltation dans la voix :
— Rallions-nous aux Bourbons !
— Vive le roi !
— Vengeons la mort du duc d’Enghien !
La mort du duc d’Enghien ! Nul doute qu’en les entendant hurler un tel slogan sous ses fenêtres Charles Maurice put s’imaginer qu’il aurait un jour des comptes à rendre.
Mais non, il n’en rendit jamais. Mieux même, il en demandera toujours.
Le diable d’homme !
Avec l’enfer pour Napoléon, réfugié à Fontainebleau, qui ne savait plus à quel démon se vouer, guettant désespérément l’arrivée des pauvres débris de son armée !
Sans doute ne s’attendait-il pas que ses fidèles maréchaux, que ce soit Macdonald ou Ney, Oudinot ou Lefebvre, lui réclament une abdication.
Fontainebleau où, dans quelques jours, l’Empereur tentera de mettre fin à ses jours en avalant un mélange d’opium, de belladone et d’hellébore qu’il croira assez puissant pour tuer deux hommes.
Mais la Camarde ne voudra pas de lui.
Le Sénat non plus ne voulut plus de lui. Convoqués par Charles Maurice – en qualité de vice-Grand Électeur –, les sénateurs (qui avaient pourtant été nommés par l’Empereur et avaient toujours docilement entériné ses décisions) furent en effet unanimes à voter la déchéance de Napoléon Bonaparte devenu l’Usurpateur et la création d’un gouvernement provisoire.
Avec un président nommé Talleyrand !
À soixante-cinq kilomètres de là, avant de se reposer un instant sur son lit en bois sculpté et doré – qui est toujours visible à Fontainebleau aujourd’hui –, Napoléon confiera à ses maréchaux :
— Je pardonne à Talleyrand car je l’ai maltraité : il ne fût pas resté en France si j’avais triomphé. Les Bourbons feront bien de l’employer ; il aime l’argent et l’intrigue mais il est capable. J’ai toujours eu du faible pour lui. Je ne sais comment il s’est fait que je me suis brouillé avec lui... Mes affaires ont été bien tout le temps que Talleyrand les a faites. C’est sa faute s’il s’est perdu dans mon esprit. Pourquoi a-t-il voulu quitter le ministère ? C’est l’homme qui connaît le mieux la France et l’Europe. Il enjôlera les émigrés, mais ce sera sans préjugés contre les hommes nouveaux, contre vous autres. Il est de votre intérêt que vous le conserviez...
Et pendant que Napoléon anéanti se résignait à devoir parapher son fatal acte d’abdication, à Paris, la grosse Kelly déambulait sur les trottoirs des grands boulevards en chantant « des
Weitere Kostenlose Bücher