Tarik ou la conquête d'Allah
Lorsque les troupes arabes se présentèrent devant Toulouse le 8 dhu
I-hidjdja 102 [28] le duc d’Aquitaine n’hésita pas un seul instant. Profitant d’un violent orage
et de l’abandon des postes de garde par les sentinelles, il lança pendant la
nuit les défenseurs à l’attaque du camp ennemi. Al-Samh fut tué dans son
sommeil cependant que Tarik regroupait les survivants et s’enfermait dans
Narbuna, dont il fit renforcer les fortifications. Eudes leva le camp et ne
tira pas avantage de sa victoire. Il avait sauvé son duché et n’avait aucune
envie de se battre pour les Chrétiens de la vallée du Rhône, sujets du roi
d’Austrasie, dont il rejetait l’autorité.
Ce revers redonna courage aux
Wisigoths réfugiés dans les montagnes du Nord. Leur chef, Pelayo, lança
plusieurs attaques meurtrières contre les forteresses musulmanes protégeant
Tulaitula. Excédé, le nouveau gouverneur de l’Ishbaniyah, Anbasa Ibn Suhaim
al-Kalbi, confia à l’un de ses généraux, Alkama, la mission de détruire le
réduit chrétien et ordonna à l’archevêque Oppas de l’accompagner pour tenter de
ramener à la raison ses coreligionnaires. Le prélat, connu pour sa servilité,
se montra un zélé auxiliaire des Ismaélites. Ayant sollicité de Pelayo une
entrevue, il lui fit honte de sa conduite et le mit en garde :
— Mon fils, je pense que tu as
conscience que l’Espagne, notre mère bien-aimée, était autrefois gouvernée par
un roi goth et surpassait les autres pays en sagesse et en érudition.
Malheureusement, Dieu a voulu nous punir de nos fautes, en particulier des
agissements de Roderic. Il a envoyé contre nous les Arabes et, face à eux, nos
armées se sont révélées impuissantes.
— D’autant plus, jeta Pelayo
d’un ton méprisant, que tes neveux, Akhila et Ardabast, nul ne l’a oublié, ont
trahi leur roi et quitté le champ de bataille.
— L’issue du combat ne faisait
aucun doute ! Roderic, abusé par ses conseillers, avait laissé la
cavalerie combattre seule et se noyer dans les marais. Si mes parents avaient
choisi de périr à ses côtés, crois-tu que nos adversaires auraient fait preuve
de tant de clémence à notre égard ? Ils ont dû ménager notre peuple et
nous accorder de multiples privilèges parce qu’ils savaient que nous pouvions
si ce n’est arrêter, du moins freiner leur progression et leur infliger de
lourdes pertes. Avec les renforts dont ils disposent à présent, il est inutile
de leur opposer la moindre résistance.
— Le duc d’Aquitaine vient de
nous prouver le contraire.
— Oui, mais il s’est bien gardé
de t’envoyer les troupes que tu sollicitais. On murmure même qu’il envisage de
donner l’une de ses filles en mariage à Munuza, le gouverneur de cette région,
afin d’acheter sa protection.
— Je connais cet homme. Ce
fieffé impudent a eu l’audace de me demander la main de ma sœur et c’est
pourquoi j’ai préféré quitter Toletum avec ma famille.
— Pelayo, quoi que tu fasses,
tu n’es pas en position de force. Les paysans sont excédés par les rapines de
tes hommes affamés et ils ne pleureront pas ta mort. Crois-moi, tu ne pourras
tenir longtemps perché dans ton nid d’aigle où tes hommes en sont réduits à se
nourrir de miel sauvage. Il vaudrait mieux pour toi et les tiens que tu déposes
les armes. Le wali Anbasa est prêt à t’octroyer son pardon et à te couvrir
d’or.
— Et que dirai-je à Dieu quand
je comparaîtrai devant Lui ? Que j’ai préféré les trente deniers de Judas
à la défense de Son Église ?
— Celle-ci est aujourd’hui bien
mal en point.
— N’as-tu pas lu, Oppas, dans
les Écritures que l’Église peut devenir aussi petite qu’un grain de moutarde
mais qu’avec l’aide de Notre Seigneur Jésus-Christ, elle peut aussi reprendre
des forces et grandir ?
— C’est effectivement ce qui
est écrit mais nul ne sait quand cette prophétie s’accomplira.
— J’ai confiance. Les temps
sont proches. Je suis convaincu que l’Espagne peut être sauvée par le petit
groupe d’hommes qui se battent à mes côtés. J’ai médité la parole du Seigneur à
David : « Avec ma férule, je punirai leurs iniquités et, avec le
fouet, leurs péchés et je n’aurai aucune pitié d’eux. » Dans la bataille
qui se prépare, le Christ intercédera en notre faveur auprès de Son Père
glorieux. Il nous sauvera.
De retour auprès d’Alkama,
l’archevêque rapporta les
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