Tarik ou la conquête d'Allah
a
suffi à pousser aux pires excès les plus ignorants. Pendant des années, il nous
a été interdit d’étudier nos textes sacrés et de pratiquer notre religion. La
liberté retrouvée a quelque chose de grisant et, sans l’approuver, je comprends
la fièvre qui s’est emparée de mon fils.
— A-t-il repris ses esprits ?
— Oui et se repent désormais
d’avoir vendu ses biens à vil prix. Heureusement, grâce aux bienfaits dont les
tiens m’ont comblé, je suis assez riche pour lui venir en aide. Et à toi aussi
si tu le désires car tu me parais soucieux.
— Isaac, fit Tarik, je te
respecte assez pour te parler librement et savoir que tu feras de même. Le
gouverneur et moi-même avons besoin de tes conseils. Nous avons reçu les chefs
des Arabes, des Berbères, des muwalladun et des Chrétiens et nous avons pu
constater qu’ils avaient une seule chose en commun : tous sont mécontents
et jaloux les uns des autres. À notre place, que ferais-tu pour remédier à
cette situation ?
— Je n’aime pas me mêler
d’affaires qui me dépassent et qui ne concernent pas directement mon peuple.
Dieu a voulu que nous soyons soumis aux autres nations et c’est sans doute
préférable. Pourtant, en reconnaissance de ce que les tiens ont fait pour nous,
je te livre le fond de ma pensée. Ce pays est loin d’être pacifié et ne le sera
jamais tant que les fils d’Edom, ces maudits Chrétiens, placeront leurs espoirs
dans l’aide que leurs frères du Nord ou les souverains qui règnent sur la Gaule
voisine pourraient leur apporter. C’est pour cela que vous devez repartir en
guerre et étendre vos domaines bien au-delà de Tulaitula dans des contrées qui
regorgent de richesses. Ce sera aussi pour vous une occasion sans précédent de
cimenter l’union des Arabes et des Berbères en les obligeant à combattre côte à
côte sous vos bannières.
Al-Samh et Tarik échangèrent un
regard de connivence. Cette nouvelle expédition, si elle se concluait
heureusement, ruinerait définitivement tous les projets d’évacuation de
l’Ishbaniyah et leur maître ne manquerait pas de les récompenser généreusement.
Le chef berbère n’eut qu’à se féliciter d’avoir recueilli chez lui Égilona.
La fille du roi Childebert III
lui fournit de précieux renseignements sur la Gaule, surnommée l’Ifrandja par
les Arabes. Avant de périr sous l’épée du bourreau, son second mari, Abd
al-Aziz, avait lancé plusieurs raids vers le nord, s’emparant de Narbuna [24] ,
ainsi que de Sakhrat Abinyun [25] et d’Hisn Ludhun [26] ,
deux forteresses situées sur le fleuve Rudano [27] .
Il avait été contraint de les évacuer à la suite d’une opération
particulièrement audacieuse menée par Charles dit Martel, le maire du palais du
roi d’Austrasie. Trop occupé désormais à imposer son autorité sur la Neustrie,
l’Austrasie et la Bourgogne, qui avaient échu au faible Thierry IV, ce
valeureux guerrier ne semblait pas être en mesure de se porter au secours des
populations du Sud de la Gaule.
Tarik Ibn Zyad et al-Samh
profitèrent de ce fait pour lancer leur offensive. Ils reprirent Narbuna et se
dirigèrent vers Toulouse, la capitale de l’Aquitaine. À leur approche, le duc,
Eudes, envoya une lettre affolée à Charles Martel :
Hélas ! Quel malheur !
Quelle indignité ! Il y a longtemps qu’on vous parle du nom et des
conquêtes des Arabes. Nous craignions leurs attaques du côté de l’Orient. Ils
ont conquis l’Espagne et c’est par l’Occident qu’ils envahissent notre pays. Si
tu ne m’envoies pas des secours, je suis perdu.
Il fut outré de recevoir pour toute
réponse ce simple conseil :
N’interrompez pas leur marche et
ne précipitez pas votre attaque. C’est un torrent qu’il est dangereux d’arrêter
dans sa course. La soif de richesses et le sentiment de leur gloire redoublent
leur valeur. Attendez que, chargés de butin, ils soient embarrassés de leurs
mouvements, pour les charger et les tailler en morceaux.
En un mot, il devait tolérer que les
Arabes dévastent ses domaines et portent partout la désolation. Son seul allié
refusait de lui prêter assistance et le laissait seul face à un ennemi dont la
rumeur amplifiait le nombre et la cruauté.
Avec l’aide du clergé, Eudes
mobilisa tous les hommes valides, nobles, paysans et citadins, libres et
esclaves, leur promettant de substantielles réductions d’impôts en cas de
victoire.
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