Tarik ou la conquête d'Allah
jamais pardonné d’avoir été la
femme de Roderic, responsable de ses malheurs, a obtenu du gouverneur Ayyoub
Ibn Habib al-Lakhmi que je lui sois donnée comme esclave. Il n’a pu refuser,
car l’époux de cette maudite Grecque est, tu ne l’ignores pas, Saïd Ibn Kasi,
un traître à son pays et à sa foi. Depuis des années, je suis employée dans les
cuisines et je nourris mon enfant des restes que veulent bien me laisser les
chiens. Dès que j’ai appris ton retour, j’ai repris espoir. Tu m’as dépouillée
de mon titre, mais je sais que tu es un être loyal et généreux. J’ai profité de
l’absence de l’intendant pour m’enfuir et me réfugier dans ta demeure.
— Tu as eu raison et tes
tourments, je te le garantis, ont pris fin dès que tu as franchi le seuil de
cette maison.
— Que vais-je devenir ?
— Considère que tu es ici chez
toi. Rassure-toi, je n’exigerai rien en retour. Je suis trop vieux pour songer
à me marier ou à m’entourer de concubines. Par contre, je n’ai pas d’héritier.
Or si j’ai détesté le grand-père d’Azim, Moussa Ibn Nosayr, qui chercha à me
nuire, il ne sera pas dit que je serai ingrat envers son petit-fils. Il a assez
souffert alors qu’il est innocent. Le jour venu, ma fortune lui reviendra à
condition qu’il accepte de prendre le commandement de ma tribu. Peu importe
qu’il ne soit pas berbère de naissance. Il apprendra notre langue et nos
coutumes et grâce à lui mon lignage ne disparaîtra pas.
Le soir même, Tarik et al-Samh
accordèrent une audience à Saïd Ibn Kasi et à son épouse. La fille de l’exarque
Julien était toujours aussi belle et elle ne ménagea pas ses compliments envers
Tarik, oubliant ou faisant mine d’oublier qu’il avait chassé son père de
Septem. L’intéressé écouta sans broncher ce flot de paroles. Lui et son
supérieur étaient avant tout avides de connaître le sentiment de l’aristocrate
wisigoth converti à l’islam. Celui-ci se lança dans une longue suite d’amères
récriminations :
— Ceux qui ont accepté
d’embrasser votre foi ne sont pas loin de regretter leur choix. Les Arabes et
les Berbères nous traitent de haut et c’est à peine s’ils nous autorisent à
prier dans leurs mosquées. À leurs yeux, nous ne sommes que des muwalladun ,
des clients passés à leur service par simple intérêt.
— Nul, ironisa al-Samh,
n’oserait mettre en doute la sincérité de tes convictions. Dieu t’a ouvert les
yeux et tu n’as pu résister à Son appel. Cela te sera compté quand tu
comparaîtras devant ton Créateur.
— C’est dans cet espoir que je
place ma confiance, répliqua mielleusement Saïd Ibn Kasi. Il n’empêche. Il est
fort désagréable de subir ces humiliations alors que les Chrétiens, de l’autre
côté, nous accablent de leur mépris et nous tiennent pour des agents du démon.
Il serait peut-être temps de leur faire entendre raison car, je dois vous en
avertir, la sédition règne dans leurs rangs et d’aucuns s’apprêtent à soulever
contre vous les paysans.
— Des paysans excédés par la
manière dont vous les pressurez, grinça Tarik. J’ai ouï dire que vos esclaves
et vos domestiques ne vous portaient guère dans leur cœur.
— Ce sont de pures calomnies.
Mes serviteurs, je puis te l’assurer, se trouvent parfaitement bien chez
moi ; nul ne songe à s’enfuir.
— Est-ce vrai ?
— Je suis prêt à le jurer sur
le saint Coran !
— Tu me rassures, murmura le
chef berbère. J’ai recueilli deux personnes dont tu as peut-être entendu
parler, l’ex-reine Égilona et son fils Azim. J’avais des scrupules à leur
offrir l’hospitalité par crainte qu’ils ne soient des fugitifs et que leur
maître ne vienne légitimement les réclamer. Puisque tu me confirmes que nul ne
s’est échappé de ta demeure, c’est qu’ils sont libres. Je puis donc les placer
sous ma protection et faire de l’enfant mon héritier si le wali m’y autorise.
Le petit-fils d’un roi chrétien et d’un conquérant arabe devenant le chef d’une
tribu berbère, voilà qui servira d’exemple à tous les Musulmans de ce pays et
leur montrera que leur avenir réside dans l’union et non dans ces divisions qui
nous ont fait tant de mal jusqu’ici.
Tarik Ibn Zyad s’amusa beaucoup en
croisant le regard furieux que lui jeta Florinda, contrainte de ne pouvoir
désavouer son époux. Assurément, entre les descendants d’Azim et ceux de Saïd,
une haine
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